L’examen de conscience de la gauche est en route, après le premier tour de l’élection présidentielle. En particulier sur le Net. Avec un but : dépasser la logique de « front anti-Le Pen ».
« Nous savons bien qu’une loi, quelle que soit sa valeur, ne suffit pas à extirper dans sa quotidienneté le racisme. Il faut s’attaquer aux causes, à tout ce qui nourrit la crise, l’exclusion, la mal vie, le repliement sur soi, la peur de l’autre... ». La citation est tirée de La résistible ascension du FN, un ouvrage datant de 1996 et publié sur le site de l’association Ras l’Front. Elle est signée... Jean-Claude Gayssot. Tel un retour de boomerang pour la gauche plurielle, cette réflexion revient en force sur de nombreux sites qui entendent dépasser le fourre-tout déculpabilisant du « front républicain ». Et ne se résolvent pas à la « honte » d’avoir pour voisin de palier quelqu’un ayant glissé dans l’urne un bulletin au nom de Jean-Marie Le Pen.
Savons-nous ce que nous voulons ?
Anticipant la (saine) réaction de rejet vis-à-vis du score du candidat d’extrême droite, le chanteur et web-éditeur Mano Solo a, lui, pris la plume sur son site, pour démonter la logique limitée des manifestations : « Nous allons voir ces prochains jours, encore et toujours, la France descendre dans la rue, hurler son horreur, ses peurs et son refus. Et après ? Nous allons voir les urnes s’entrechoquer encore autour d’un nouveau thème qui serait le barrage. (..) Combien de temps encore ce pays va-t-il se parler à travers des urnes(...) ? ». Mano Solo lance une invitation : « Qu’attend chaque maire de France pour ouvrir une salle municipale quelle qu’elle soit, afin d’y inviter durant l’été entier la France à se parler, à se sentir, à s’écouter, à s’organiser pour construire au lieu de ne se regrouper qu’en cas de nécessité dramatique ? ». La question pour lui reste entière : « Nous savons tous que nous ne voulons pas du front national, mais savons nous ce que nous voulons ? ».
Choix sécuritaire
« Le Pen n’est pas au pouvoir que ses idées y sont déjà ». La formule du collectif No pasaran sur le site Samizdat.net rassemble, elle, une critique partagée par différents mouvements sociaux et par la mouvance altermondialiste( ant-mondialisaton) : un des principaux échecs du candidat Jospin réside dans son choix de donner priorité au thème de « l’insécurité » et dans les mesures adoptées, par exemple avec la loi sur la sécurité quotidienne. Dans l’Ornitho.org, Pierre Tévanian rappelle comment cette orientation a été prise avant même l’entrée en campagne. Il estime que « la classe politique a préféré suivre le FN sur le terrain des ’problèmes d’immigration’, espérant ’couper l’herbe sous le pied’ de l’extrême droite, alors qu’on ne faisait ainsi que banaliser et légitimer les thèses de cette extrême droite ».
Haine construite
Dans le carnet de Périphéries, Mona Chollet pointe les limites de la cause anti-raciste, en évoquant comment la rédaction de Charlie Hebdo, un temps à la pointe de ce genre de combat, avait pu s’endormir, avec la chute post-scission du Front National, dans un « ethno-centrisme franchouillard » flirtant avec le racisme. Ce que rappelle Périphéries, c’est que la haine fait aujourd’hui l’objet d’une construction, partout dans le monde. Dont certains murs porteurs, de façon consciente ou inconsciente, sont les médias. En particulier les journaux télévisés, qui ont pu asséner l’insécurité comme « première priorité des Français ». Or, estime Périphéries, « L’insécurité, ce fourre-tout, ne peut en aucun cas servir de levier pour améliorer la qualité de la vie et l’état de la société. L’insécurité n’est pas un thème politique ! ». De même, dans une tribune publiée par Place-publique.fr, le chercheur Eric Cacheux, dénonce-t-il l’insécurité comme un « poncif médiatique », ce concept étant « une représentation sociale qui s’appuie sur des faits, mais aussi sur des images ».
Blanchiment politique
Sur le site l’Homme Moderne, qui héberge le carnet de Serge Halimi, le journaliste du Monde Diplomatique fait peser sur l’ensemble du système capitaliste actuel le succès lepéniste : « ni Le Pen ni l’ordre social actuel n’ont rien à redouter d’une critique « morale » du fascisme, par exemple, qui exonérerait ou ferait corps avec les dominants », écrit-il. « Ce Front républicain, poursuit Halimi, jouerait alors le rôle d’une entreprise de blanchiment politique et social des politiques néolibérales ». Avoir honte du score de Le Pen ? « Non, répond-il, ou alors, il fallait avoir honte avant ». Serge Halimi compare l’absence de revalorisation des minima sociaux à la baisse de l’impôt sur le revenu et conclut : « on a conforté le mur de l’argent, et c’est de cela qu’il faut avoir honte ». Une thèse que l’on retrouve sur les forums de Libération où l’on peut lire cette mise en garde : « il suffit de crier au fascisme, au nazisme, à la résistance (...) pour utiliser une fois encore l’extrême droite comme pis-aller machiavélique d’une reconquête collusoire des moyens de domination gouvernementaux ».