Un avant-projet de loi sur la société de l’information vient d’être rendu public par le gouvernement espagnol. Un texte qui fait bondir les partisans de la liberté d’expression.
LSSI. Loi sur les services de la société de l’information. L’Espagne met en route la petite sœur de la Loi sur la société de l’information (LSI) du gouvernement Jospin. Un avant-projet de loi a en effet été rendu public la semaine dernière par le gouvernement espagnol de José María Aznar (Parti Populaire, droite). Un document de 40 pages, divisé en 54 articles. On y retrouve certaines dispositions à la française, sur la responsabilité des hébergeurs notamment, et un soupçon d’adaptation ibérique. Une fois le texte connu sur le site du ministère des Sciences et Technologies, les réactions ont été immédiates. Plusieurs quotidiens en ligne ont aussitôt décidé de lancer une campagne nationale de protestation. Avec un seul but en tête : que cette loi ne soit pas votée en l’état.
En tête de la révolte, on trouve le site Kriptópolis, spécialisé dans la sécurité informatique, et animé, entre autres, par l’avocat Carlos Sánchez Almeida, l’un des juristes les plus réputés en Espagne concernant Internet. "Le gouvernement nous a bien eus, explique-t-il. Il n’a communiqué que sur les dispositions anti-spam prévues. C’est un leurre, l’arbre qui cache la forêt. Tout le monde s’est félicité qu’on rende illégal ce type de mails et personne n’a pensé à aller plus loin". Selon l’avocat, certains articles, s’ils sont votés, signifieraient la fin de l’Internet libre en Espagne. "L’article 10 prévoit que tous les prestataires de services s’inscrivent sur un registre public dès qu’ils réalisent, je cite, des activités économiques grâce au Réseau". C’est le terme d’activités économiques qui gêne Sánchez Almeida. "Trop vague. Un site perso qui a quelques bandeaux de pub et qui touche un peu d’argent devra s’inscrire. C’est inadmissible". Quant à l’article 12, c’est une copie du paragraphe français sur la responsabilité des hébergeurs, qui, selon l’avocat "devront se comporter comme des policiers et demander toutes les coordonnées des personnes responsables des sites qu’ils hébergent, sous peine d’être condamnés". Le texte prévoit de fortes amendes, de 25 à 100 millions de pesetas (entre 1 et 4 millions de francs) en cas de non-respect de la loi. Plus grave encore, toujours selon Sánchez Almeida : "l’administration se substitue à la justice. Les deux derniers articles du projet sont explicites. L’autorité qui sanctionnera sera le ministère des Sciences et Technologies ou son secrétariat d’...tat. Les juges n’auront-ils donc plus rien à faire ?"
Côté gouvernemental, on tente de calmer les esprits. Pour la forme, car le Parti Populaire dispose d’une majorité confortable aux Cortes (l’Assemblée), qui devrait voter la loi sans problème. Et, paradoxalement, la droite a trouvé un allié de circonstance, l’Association des internautes (AI), qui avait obligé le gouvernement à revoir ses tarifs de connexion et à proposer un tarif spécial Internet (voir article de transfert) l’année dernière. Víctor Domingo, président de l’AI, estime qu’il est trop tôt pour se prononcer. "Le texte est chez nos avocats, qui vont nous proposer une lecture critique. Nous verrons après quelle attitude nous adopterons. Pour le moment, nous ne participons pas à la campagne de Kritópolis, un peu rapide à mon goût". Reste à savoir quels amendements proposeront les socialistes espagnols, qui se sont déjà prononcés contre la LSSI, et qui comptent bien retarder son vote au maximum.