Contrairement à certaines de ses homologues anglo-saxonnes, la Ligue des droits de l’homme a encore du mal à appréhender les libertés qu’autorise Internet. Elle voudrait fermer sa mailing-liste, jugée trop dissidente.
LDH-Rezo est la liste d’information et de débats de la Ligue des droits de l’homme. Fondée en octobre 1999 pour permettre aux militants de la Ligue de communiquer entre eux par le truchement d’Internet, elle compte aujourd’hui plus de 300 abonnés. Le 16 février, Philippe Moreau, modérateur de la liste, y publiait un communiqué, signé par une dizaine de personnes, appelant à la "rénovation" de la LDH. Les signataires entendent démocratiser la Ligue et la rendre plus transparente ("L’appareil de décision est opaque pour les militants, les initiatives individuelles sont découragées par le poids de la hiérarchie"), améliorer son image ("Opaque à l’intérieur, la Ligue l’est aussi à l’extérieur : inconnue du grand public, et des jeunes en particulier, la Ligue souffre d’un déficit de notoriété") et être plus présent au côté des nouvelles formes de militance. Alors même que le contexte de la mondialisation, et de mouvements comme ATTAC, démontrent un regain d’activité du mouvement social, notamment du côté des jeunes, ceux-ci sont particulièrement sous-représentés au sein de la LDH : elle ne compterait que 250 militants de moins de 30 ans pour un peu moins de 8 000 adhérents, alors qu’ils étaient 160 000 au début du siècle. L’appel a depuis été contresigné par une trentaine de personnes, dont plusieurs délégués régionaux et présidents de section, ou encore Jean-Marie Matisson, qui fut l’une des parties civiles au procès Papon.
Positions nettement plus tranchées
La réponse "unanime" du bureau national de la LDH tombe dix jours plus tard. S’il se veut consensuel et apaisant, tout en souhaitant que le débat se poursuive, le bureau trouve néanmoins choquant de voir s’étaler sur la liste de discussion les griefs, et proposition, du Groupe Rénovation. Il demande à Philippe Moreau de cesser d’être le modérateur de LDH-Rézo, et d’en rendre les clefs d’administration, qu’il est à ce jour le seul à posséder. Contactée par Transfert, la LDH n’a pas souhaité s’expliquer plus avant, renvoyant au communiqué officiel qu’elle a fait paraître sur la liste. Mais un compte-rendu du comité central (CC) que nous nous sommes procuré fait état de positions nettement plus tranchées : "La Ligue est dépossédée d’un outil qui lui appartenait par un piratage, abus de confiance justifiant des suites pénales. Une réflexion devra être menée à terme sur les moyens d’éviter qu’Internet ne devienne un outil de totalitarisme et sur les moyens d’introduire de la démocratie dans son fonctionnement. Le CC donne mandat express à la direction pour employer tous les moyens susceptibles de faire se retirer Philippe Moreau du Rezo, ou faire disparaître le Rézo."
Le contre-pouvoir de la LDH
Philippe Moreau, qui est journaliste, avait co-signé avec Sébastien Canevet, juriste spécialisé dans le droit des nouvelles technologies, un article dans les pages Rebonds de Libération pour dénoncer l’imprescriptibilité de la diffamation sur l’Internet, qui fait jurisprudence en France suite à la plainte déposée par l’UEJF, la LICRA, le MRAP mais aussi la LDH, à l’encontre de l’artiste "trash" Costes (voir notre dossier). Officiellement, il n’y aurait aucun rapport. Selon Bastien Faudot, membre du groupe Rénovation et vice-président de l’association "Lutte pour la justice" (crée par Colette Berthez pour soutenir Odell Barnes et lutter contre la peine de mort aux USA), il s’agirait bien plus d’un "problème structurel : c’est le règne de la cooptation, le comité central compte 48 membres qui sont censés prendre les décisions, mais ne font en fait qu’entériner les décisions prises par le bureau national". Neuf membres du groupe Rénovation ont ainsi décidé de se présenter aux prochaines élections. À en croire Philippe Moreau, la LDH n’aurait jamais dû en arriver là : "Je suis très attaché à la LDH, ils font des choses très bien, ça me fait mal parce que la liste appartient aux militants, que ça n’existait pas avant Internet et que la Ligue devrait être à la pointe de ce genre de procédure, c’est très sain pour une organisation d’avoir son contre-pouvoir."
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Transfert
publiait récemment un article intitulé "Les
libertés en question" à propos d’une table ronde
organisée par la Ligue des Droits de l’Homme. La retranscription
des débats vient d’être publiée dans le n° 112 d’Hommes
et Libertés, l’une des revues de la LDH, qui consacre un dossier
spécial à la "Liberté
d’expression sur l’internet" avec un retour de Gilles Manceron
sur la définition, en 1789, de la liberté de la presse, illustration
de l’opposition "entre les partisans d’une liberté et d’un anonymat
total sur Internet et les partisans de règles qui en définissent
les limites". On trouvera également un article d’Henri Leclerc
sur la loi de 1881, qui régit la liberté de la presse, un
autre de Michel Tubiana sur la position de la LDH en matière de "prescription
des écrits publiés sur le net". Ou encore des articles
sur les lois françaises contre le racisme, la liberté d’expression
aux USA ou encore les sites Internet militants, ainsi qu’un texte de Michel
Fingerhut, d’anti-rev.org, site de référence de ceux qui combattent
le négationnisme, sur les manières de combattre le racisme
du l’internet. A noter également la sortie conjointe du n° 430-431
d’"Après-demain", l’autre revue de la LDH, intitulé
"Internet et la démocratie" avec, entre autres, des contributions
de Meryem Marzouki (de l’association IRIS), Florent Latrive (de Libération),
Marc Laimé, Mona Chollet (du minirézo) ou encore Laurent Chemla
(de Gitoyen).
Le
site de la LDH : http://www.ldh-france.asso.fr/
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