Pour débloquer le fonctionnement du tribunal de Saint-Pierre et Miquelon, la justice française a dû se mettre à la visioconférence. Après un correctif légal, la première télé-audience s’est tenue mercredi 22 novembre entre Paris et l’archipel. Reportage.
 P-E. Rastoin |
Pour une première, c’est une première : le premier télé - procès de France s’est déroulé mercredi 22 novembre à Paris. L’audience, discrète mais publique, avait été organisée pour relier le tribunal de Saint-Pierre et Miquelon, à 4 600 kilomètres de la métropole, et la cour d’appel de Paris. En présence du ban et l’arrière-ban de de cette dernière : premier président, procureur général, greffière en chef, service informatique, tous réunis et émus par cette plongée inattendue de la Justice française dans l’univers si étranger de la technologie. L’affaire n’était pas très lourde, et la communication avec l’archipel, cette collectivité territoriale française au large de l’Amérique du Nord, n’a duré qu’une dizaine de minutes. C’est pourtant ce dossier qui a contraint la Justice à accélérer son passage à l’ère des télécommunications dans laquelle beaucoup de pays européens sont déjà entrés. En suscitant le vote d’une loi, en 1998, puis la signature d’une ordonnance du président de la République.
Originalité judiciaire
L’histoire débute voici quelques années, quand Grégoire Lafarge, un avocat parisien, est contacté par un syndicaliste de Saint-Pierre, poursuivi par la Justice. Pas de quoi fouetter un chat. Dans l’avion, l’avocat découvre l’organisation judiciaire de Saint-Pierre. Une poignée de magistrats y siègent, pas assez nombreux, cependant, pour y exercer toutes les fonctions judiciaires. D’où une exception de taille dans le droit français, au demeurant légale et constitutionnelle : un juge d’instruction peut juger au tribunal une affaire qu’il a instruite. "Impossible", se dit l’avocat, choqué par cette originalité qui méconnaît le droit commun. "J’ai alors découvert, dans le code de l’organisation judiciaire, une disposition contraire", explique-t-il. Conséquence ? Il demande la récusation du juge. Qui l’accepte. "Le législateur a donc été contraint de réfléchir à la situation, car tout le système judiciaire local était menacé de blocage." L’ordonnance de 1998 stipule que la procédure vidéo ne doit cependant être utilisée qu’en cas d’urgence. C’est le cas ce mercredi 22 novembre : pour éviter la prescription d’une affaire, il faut organiser une séance formelle, pour la renvoyer à une autre date.
Craintes des magistrats locaux
Il n’est donc pas peu fier, maître Lafarge, quand la télé-audience débute, comme une messe, peu après 18 heures. À Saint-Pierre, il est 14 heures. La cour d’appel s’est repliée dans une salle de réunion d’un service administratif, hors des murs du Palais de Justice de Paris. Tassés autour d’une table, le président, deux assesseurs et deux greffières fixent l’écran qui leur fait face. À côté, les deux avocats, et autour, le public choisi de la cour d’appel, un peu assis un peu debout. Un technicien pilote à la télécommande une petite caméra. Sur le moniteur, le prévenu, une dame procureur, un président, la greffière. L’affaire est vite renvoyée au 14 février 2001. "Vous devrez vous présenter au tribunal de Saint-Pierre et Miquelon et une nouvelle audience sera fixée", dit le président à la caméra en s’adressant au prévenu. La deuxième audience passera, elle aussi, par le circuit télé. Aucune objection, fin du mini-procès à 18h25. Il aura duré 10 minutes. Le temps de connexion, qui passe par des lignes canadiennes, n’est pas épuisé. "Nous vous saluons virtuellement, dit le président de Saint-Pierre et Miquelon à ses collègues de Paris. Cette audience est le signe annonciateur d’une Justice du 21e siècle. C’est pour nous un événement très important." Avec quelques réserves cependant : la crainte exprimée par les magistrats locaux que la " visio " les remplace peu à peu. Et voilà pourtant comment, parce qu’un avocat a pris l’avion pour Saint-Pierre et Miquelon - où il a ouvert entre temps un cabinet comme son confrère d’audience Patrick Tabet - la vieille institution judiciaire s’enthousiasme aujourd’hui pour le progrès.