La Défense crée des commissions chargées de communiquer, mais pas trop, sur le nucléaire militaire
En matière de nucléaire, le gouvernement joue-t-il vraiment la transparence ? Alors qu’un arrêté du 24 juillet 2003 stipule que les informations concernant le stockage, la protection et le transport des matières nucléaires sont désormais classées "secret défense", un arrêté du 17 juillet 2003, publié au Journal Officiel du 24 août 2003, ordonne la création de huit Commissions locales d’information (CLI) sur des sites nucléaires militaires. Ces assemblées qui regrouperont élus, membres de l’administration à l’échelle nationale et locale, industriels et associations, seront officiellement chargées d’informer le public sur l’impact des activités menées, dans ces sites, sur la santé et l’environnement. Méfiantes, les associations de défense de l’environnement s’interrogent sur le rôle, les moyens et la marge de manoeuvre dont disposeront ces commissions.
Les ports militaires de Brest, Cherbourg et Toulon, les bases aériennes d’Istres, Avord, Saint-Dizier, Luxeuil-Saint-Sauveur et Mont-de-Marsan sont désormais tenus de transmettre, de manière régulière, des informations sur l’impact de leur activités nucléaires sur la santé et l’environnement.
Les responsables de ces huit sites doivent communiquer ces données à des commissions locales mises en place sous la responsabilité du préfet. Ces informations prendront par exemple la forme de rapports sur les mesures de radioactivité effectuées autour des bases militaires. Les premières commissions doivent se réunir avant la fin de l’année 2003.
Secret Défense ou pas ?
En cas d’incident sur l’un des sites, leurs responsables n’informeront les commissions qu’a posteriori. Les "chaînes d’alerte" à mobiliser en cas d’incident dépendent en effet d’autres instances, même si de nombreux responsables de ces chaînes sont représentés au sein des commissions locales.
Inquiètes, les associations de défense de l’environnement s’interrogent sur le type d’informations qui seront transmises par les militaires.
Selon le ministère de la Défense, le classement "secret défense" qui entoure désormais les informations sur le nucléaire n’empêchera pas ces commissions de communiquer. Toutefois, les thèmes seront limités : "Tout ce qui concerne la sûreté, c’est à dire la prévention et la lutte contre les accidents, ainsi que la radioprotection, donc le domaine d’action des Commissions locales d’information, n’est pas touché par cette mesure. L’Autorté de sûreté nucléaire (ASN), en plein accord avec le Haut fonctionnaire de Défense, continuera à donner à ces commissions toutes informations utiles sur les inspections menées et leurs résultats, ainsi que sur les incidents de sûreté et de radioprotection survenus sur les installations", avance Philippe Saint-Raymond, directeur général adjoint de l’ASN.
Une réponse officielle qui ne satisfait pas les associations. "Comment les Commissions d’information locales aborderont-elles la question des déchets nucléaires puisque ces informations relèvent à présent du ’secret défense’ ?", s’interroge Marc Saint-Aroman, membre de l’association des Amis de la Terre. "Et pourquoi informer la population seulement a posteriori en cas d’incident ?"
Déjà des ratés dans le civil
Des Commissions d’informations locales (CLI) existent déjà dans le domaine du nucléaire civil. Créées à l’initiative des conseils généraux à la suite d’une circulaire de Pierre Mauroy en 1981, elles sont également chargées de l’information des populations.
"Elles fonctionnent plus ou moins bien selon les régions, précise Jean-Yvon Landrac, du Réseau Sortir du Nucléaire, et leur composition respecte plus ou moins les textes de lois. Certaines associations participantes n’ont tout simplement rien à voir avec la défense de l’environnement !"
Selon Marc Saint-Aroman, des voix divergentes se font entendre au sein de ces commisions, même parmi ses membres les plus "institutionnels". "Alors que l’Autorité de sûreté du nucléaire a relevé 27 incidents sur la centrale nucléaire de Golfech, les représentants d’EDF qui siègent dans la CLI locale n’en reconnaissent que 17 !", explique-t-il.
Si de telles commissions n’existent pas encore dans le domaine militaire, des "groupes de pilotage" se sont toutefois mis en place dans certaines régions pour commmuniquer sur le nucléaire militaire. Mais, là encore, leur action en matière de communication reste plus que discrète.
"En 1996, un ’Plan particulier d’intervention des installations nucléaires à Brest et à l’île Longue’ a été mis en place à la demande du préfet, suite à des discussions avec des militaires, quelques associations et des élus locaux, note Jean Cornec, maire de Crozon, une commune située entre les deux sites nucléaires bretons. Mais ce plan n’a jamais été mis en application. Les exercices d’évacuation de la population ’grandeur nature’ que nous réclamons n’auront certainement jamais lieu, avec ou sans ces nouvelles commissions."
Les sites les plus dangereux toujours secrets
Autre critique formulée par les associations de défense de l’environnement : les Commissions d’information locales ne couvriront pas l’ensemble des sites nucléaires militaires français. Ce que confirme Wise-Paris (World Information Service on Energy), éditeur de "La France Nucléaire", un livre qui recense l’ensemble des sites nucléaires français.
Parmi ces sites figurent plusieurs bases militaires qui ne sont pas visées par l’arrêté du 17 juillet 2003. Comme Valduc par exemple, situé à 30 km de Dijon. Le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) y fabriquerait des sous-ensembles de têtes nuclaires. Autre exemple : à Gramat, en Midi-Pyrénnées, la Direction générale de l’armement procèderait à des essais de matériel d’armement en uranium appauvri.
La situation semble pour le moins opaque, ce que le ministère de la Défense ne cherche pas à nier. "Il existe plusieurs sites nucléaires militaires français qui ne font pas partie de la liste mentionnée dans cet arrêté, souligne Yann Tréhin, chef d’escadron de la Délégation à l’information et la communication de la Défense. Les sites nucléaires militaires les plus protégés sont cachés et leurs activités ne sont pas connues du public."