"La Commission européenne s’apprête à légaliser les OGM par la petite porte" [Eric Gall]
Greenpeace s’élève contre un projet de directive autorisant la "contamination" de semences
Les 27 et 28 octobre 2003, les experts du Comité permanent des semences de la Commission européenne rendront leur avis sur un texte autorisant des taux d’OGM "accidentels" dans les semences agricoles traditionnelles, compris entre 0,3 et 0,7 %, sans obligation d’étiquetage. Pour faire adopter ce projet de directive qui lui tient à coeur depuis longtemps, la Commission européenne a choisi une procédure technique spéciale, dite "de comitologie", qui dispense de passer devant le Parlement européen. Une procédure "technocratique et antidémocratique" que dénonce Greenpeace. Selon l’ONG, si les gouvernements acceptent cette directive, il sera très difficile pour les agriculteurs européens de respecter les seuils d’étiquetage fixés à 0,9 % pour l’alimentation humaine et animale, adoptés en juillet. Pire, la coexistence des cultures transgéniques et classiques serait rendue impossible et les filières bio condamnées.
Eric Gall est conseiller politique à l’unité Europe de Greenpeace, en charge de la question des OGM à Bruxelles. Il travaille actuellement à sensibiliser les experts qui feront partie du panel des 27 et 28 octobre, dont ceux qu’enverront le gouvernement français, qui soutient a priori la Commission. Le spécialiste se montre plutôt optimiste sur l’évolution de la question des OGM en Europe, notamment depuis que la publication de plusieurs rapports récents négatifs sur les cultures transgéniques a mis en difficulté le Premier ministre britannique Tony Blair. Eric Gall se félicite aussi de la position adoptée aujourd’hui par Eurocommerce, la puissante représentation européenne du commerce de détail et de gros, contre la "contamination" des semences et pour "des normes de pureté strictes".
Expliquez-nous la procédure adoptée par la Commission européenne pour faire voter sa directive. Pourquoi la jugez-vous anti-démocratique ?
Eric Gall : La procédure est dite "de comitologie". D’une manière générale, on y a recours pour régler des questions très techniques relatives à la mise en oeuvre de directives déjà adoptées. C’est une mesure technocratique qui réunit un comité d’experts envoyés par les gouvernements des états membres, sans passer devant le Parlement européen ou le Conseil des ministres.
Nous trouvons la procédure antidémocratique, notamment car il est très difficile de faire rejeter un projet de directive par un comité d’experts. Il faut pour cela réunir une majorité qualifiée d’états membres. C’est une des raisons pour lesquelles la Commission a choisi cette procédure. Elle s’apprête à légaliser les OGM par la petite porte alors qu’une décision aussi importante pour l’environnement en Europe devrait faire l’objet d’une discussion publique et passer devant les instances politiques normales, Parlement et Conseil des ministres.
En quoi autoriser un taux accidentel d’OGM dans les semences va-t-il généraliser les cultures transgéniques et condamner les filières bio, comme vous l’affirmez ?
Autoriser la présence dans les semences de taux d’OGM allant de 0,3 % à 0,7 % suivant les types de cultures (0,3% pour le colza, 0,5% pour le maïs, la betterave, la tomate et la pomme de terre et 0,7% pour le soja, Ndlr), va entraîner une dissémination très large.
Il deviendra donc quasiment impossible pour les agriculteurs de respecter le seuil de 0,9 % d’OGM autorisés pour l’alimentation humaine et animale. A moins de mettre en place, tout au long de la chaine de production, des contrôles qui se révèleront beaucoup plus coûteux qu’une action en début de la chaîne, au niveau des semences.
Par ailleurs, les études anglaises récentes ont par exemple montré que le pollen de colza pouvait voyager sur 16 kilomètres. Les bases scientifiques sur lesquelles la Commission veut autoriser la contamination des semences sont très fragiles. La directive condamnerait de fait les filières biologiques et non-OGM, alors que c’est exactement ce que les trois-quarts des Européens réclament.
Vous demandez que soit garantie la pureté des semences. Comment cela pourrait-il être mis en place ?
Nous demandons des seuils de pureté stricts, fixés au zéro "technique". Concrètement, les semences contenant plus de 0,1 % d’OGM (le seuil minimum des outils de mesure, Ndlr) seraient interdites, sauf à être étiquetées. Il faut qu’un maximum de gouvernements soutiennent cette idée contre la Commission européenne et demandent qu’un texte soit voté dans ce sens.
La mesure est tout à fait réalisable, puisque l’Autriche a adopté une loi de pureté des semences il y a deux ans, avec grand succès. Les industriels semenciers font de toute façon eux-mêmes des mesures sur leurs produits, dont ils connaissent les taux d’OGM. Une loi de pureté les oblige simplement à publier ces chiffres et les assortit de contrôles publics.
Concrètement, comment l’adoption de cette directive peut-elle être empêchée ? Faites-vous pression sur la France ?
Il ne reste que quelques jours avant la réunion du Conseil permanent des semences, les 27 et 28 octobre. Nous demandons aux différents gouvernements européens d’instruire leur représentant à cette réunion pour qu’il refuse la proposition de directive et demande au contraire que soient instaurés des standards stricts de pureté des semences. Nous espérons qu’une majorité qualifiée pourra être réunie. Pour l’instant, l’Autriche et l’Italie se sont déclarées contre, et semblent suivies par le Luxembourg, le Danemark, la Grèce et la Belgique. L’Allemagne a aussi critiqué la procédure de comitologie.
Pour ce qui est de la France, son rôle est important, car les gros pays pèsent plus lourd dans les votes au sein du comité d’experts. Jusqu’à présent, le gouvernement français a toujours soutenu la Commission. Nous avons demandé à ce qu’il prenne position contre la directive, mais sans succès. Nous ne désespérons pas d’un changement de dernière minute...
Campagne de Greenpeace sur les semences:
http://www.greenpeace.org/france_fr...
Le communiqué d’Eurocommerce, lobby du commerce de détail et de gros, contre la directive:
http://www.eurocommerce.be/index.js...
Un rapport gouvernemental anglais dénonce les effets des OGM sur la biodiversité (Transfert.net):
http://www.transfert.net/a9454
Le Parlement européen supprime le dernier obstacle à la levée du moratoire sur les OGM (Transfert.net):
http://www.transfert.net/a9064