Dimanche 8 octobre, lors des élections communales et provinciales belges, près de la moitié des électeurs ont exprimé leurs suffrages sur des PC fabriqués par Bull. Ce deuxième épisode de vote électronique généralisé (après juin 1999) a suscité quelques polémiques en Belgique. Reportage dans un bureau de vote bruxellois.
Nabil Antoun pose devant un policier (complice). Le président de pour Eva (Pour une éthique du vote automatisé) vient de refuser de voter.Eric Mugneret |
Dimanche matin, 9 heures, Bruxelles. Les bureaux de vote de la grand-place sont ouverts depuis une heure. Plus de sept millions de Belges sont appelés à voter (c’est obligatoire dans tout le pays) pour les élections communales et les provinciales. Un homme se présente au bureau numéro 1 : "
Je demande à voir le président du bureau de vote", lance-t-il d’emblée. La requête n’est pas anodine : l’homme, Nabil Antoun, a décidé de ne pas voter aujourd’hui. Le motif : l’instauration, depuis une loi de 1994, du vote automatisé. Un système de vote sur ordinateur avec une carte magnétique qui concerne 44 % des électeurs belges, dont les Bruxellois. "
Pouvez-vous m’assurer que la carte magnétique que vous me délivrez est vierge ?" - "
Oui", lâche la jeune présidente. Nabil Antoun ne lâche pas sa proie, têtu : "
Prouvez-le moi !" - "
Il faut faire confiance aux autorités", répond, un brin fébrile, la jeune femme. "Je ne fais pas confiance aux autorités", enchaîne son contradicteur. Et dans la foulée, il exhibe devant les caméras de la RTBF et de RTL une lettre à l’attention des autorités belges, où il explique son refus de voter. En théorie, Nabil risque une amende. En pratique, la loi sur le vote obligatoire est très peu appliquée en Belgique.
Impairs et bourdes
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Les élections du bourgmestre de Bruxelles continuent comme si de rien n’était : un à un, les votants se présentent, carte d’électeur à la main. En échange, ils reçoivent des mains de la présidente du bureau des cartes magnétiques, délivrées à la chaîne par une machine made in Bull. Second passage obligé : l’isoloir où un écran, une unité centrale munie d’une fente à carte magnétique et un crayon à lecture optique attendent les citoyens bruxellois. Une fois la carte introduite, l’électeur s’empare du stylo optique et fait son choix sur l’écran. Le vote effectué, il dépose sa carte magnétique dans l’urne. Le ministère de l’Intérieur avait pris soin d’envoyer un mode d’emploi aux 3,7 millions de citoyens concernés par le vote électronique. À la veille du scrutin, la presse belge a largement relayé l’information. Et pourtant, une fois sur deux, la carte magnétique est introduite dans l’urne dans le mauvais sens. Un assesseur est chargé tout spécialement d’aider les citoyens déconcertés. Au bout de deux heures de vote, la bourde. Un homme d’une quarante années a introduit, par mégarde, sa carte magnétique dans l’urne électronique. Sans être passé par l’isoloir... "
On vous avait dit de passer par l’isoloir !, lance l’un des assesseurs. Une fois la carte introduite dans l’urne, on ne peut plus rien faire." L’homme a voté blanc sans le vouloir... "
De toute façon, je ne suis pas très politisé", balance-t-il à la sortie du bureau.
Scrutins influencés
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Une étude de la VUB, une université flamande de Bruxelles, commandée par le ministère de l’Intérieur et publiée en mai dernier, a fait l’effet d’une mini-bombe. Cette étude démontre en effet que l’utilisation du scrutin électronique dans les bureaux de vote modifiait sensiblement le comportement des électeurs. Surtout lors d’un "
vote de préférence", lorsqu’il s’agit de choisir un candidat parmi la quarantaine de noms proposés par un parti. "
Sur un écran, la liste des candidats s’affiche sur plusieurs colonnes. En analysant les résultats des dernières élections, on s’est rendu compte que les suffrages se reportaient plus facilement sur les candidats placés en tête de colonne", explique Jo Buelens, chercheur à la VUB. À tel point que les partis tiennent désormais compte de cette donnée pour placer leurs meilleurs candidats. Le vote électronique n’a pas fini de bouleverser la vie politique belge.