La publication par transfert.net de l’avant-projet de loi sur la société de l’information (LSI) n’a pas eu l’heur de plaire au gouvernement. Le texte, lui, est un cauchemar pour les défenseurs des libertés sur Internet...
Si le gouvernement doit recevoir la semaine prochaine les derniers arbitrages des différents ministères impliqués dans sa rédaction, les défenseurs des libertés sur Internet tirent, quant à eux, à boulets rouges sur une LSI qui privilégierait le commerce électronique à la lutte contre la fracture sociale, et la société de surveillance à celle de l’information. L’Association des utilisateurs de l’Internet qualifie ainsi le projet d’ "attentatoire aux libertés individuelles : déguisé sous le titre de "société de l’information", Jospin veut instaurer la "société de surveillance" sur Internet, un nouvel ordre moral et généraliser la surveillance policière occulte, Big Brother n’aurait pas imaginé pire". Michel Bouissou, auteur d’une tribune libre consacrée à la LSI à paraître dans le prochain numéro du magazine Transfert, s’est ainsi "amusé", si l’on peut dire, à décrypter les données de connexions (logs) que les fournisseurs d’accès à l’Internet (FAI) seraient tenus de conserver pendant un an.
Contrôle quasi-douanier
Le texte n’étant qu’une version de travail, la teneur exacte des logs est encore sujette à caution, mais laisse à penser qu’ils pourraient concerner tous les protocoles de communications, depuis le Web (http) jusqu’aux transfert de fichiers (ftp et P2P) en passant par les e-mails, les messageries instantanées, les diffusions broadcast de contenus audiovisuels, etc. Au final, les FAI qui, aujourd’hui, ouvrent grande une seule et même porte vers l’ensemble des services internet seraient contraints et forcés de créer une multitude de portes d’accès différentes, avec contrôle quasi-douanier à l’entrée comme à la sortie : "Le grand public n’aurait plus droit qu’à du Web loggé, filtré, censuré comme il faut au regard des lois locales, et les vendeurs de soupe seront bien contents. Et Internet est mort. Bien mort. C’est un scénario catastrophe dont je n’imagine pas un instant qu’il puisse se réaliser. Tout en craignant d’avoir tort...", indique Michel Bouissou.
Fausses promesses
Fervent défenseur de l’utilisation de la cryptographie et co-auteur d’une "Lettre ouverte pour restaurer la confiance en PGP", Michel Bouissou s’inquiète aussi du fait que l’avant-projet de loi ne libéralise pas l’utilisation de la crypto, contrairement aux promesses faites par Lionel Jospin et Laurent Fabius : "Cette pseudo libéralisation semble taillée sur mesure pour les entreprises et le commerce et se moquer pas mal du citoyen désireux de protéger sa confidentialité par ses propres moyens." Si les entreprises qui commercialisent des solutions de cryptographie voient leurs démarches simplifiées, l’utilisation de la crypto par les particuliers peut se transformer en cauchemar. Pour PPLF, webmaster du site OpenPGP, "c’est une volte-face difficile à comprendre. Depuis 1999, le discours des différents ministres était clair : la cryptologie va être libéralisée. Au lieu de cela, on se retrouve avec un texte inapplicable qui pose de sérieux problèmes de liberté d’expression, notamment concernant la possibilité d’écrire et de diffuser un programme informatique."
Couleur politique
Toujours en matière de liberté d’expression, l’AUI rappelle que les "diligences appropriées" et la responsabilité des hébergeurs, évoquées dans le projet, ont déjà été, par deux fois, censurées par le Conseil constitutionnel. Ces mesures, qui avaient entraîné, entre autres, la fermeture des 47 000 sites d’Altern, réouvriraient la porte à la censure expéditive de tout contenu perçu comme "dommageable" par des tiers. Reprenant une expression du sociologue Loïc Wacquant, "De l’...tat providence à l’...tat pénitence", l’association Imaginons un Réseau Internet Solidaire (IRIS) estime, quant à elle, que "le gouvernement adopte la politique du pire : libéralisme économique et répression politique dominent les mesures proposées par le texte de l’avant-projet de loi". Contestant le retour des "diligences appropriées", la part belle faite à l’administration et au ministère de l’Intérieur ou encore le fait que "le spam sera la règle et son refus l’exception", IRIS a décidé de mettre en ligne un dossier sur la LSI afin de suivre, pas à pas, l’évolution de cette loi tant attendue, mais qui ne verra probablement pas le jour d’ici aux présidentielles de 2002. Dernier sujet, qui fait lui aussi l’unanimité contre lui : un grand nombre d’articles nécessitent que soient pris des décrets d’application, autrement dit : c’est le gouvernement qui, au final, en fonction de sa couleur politique et hors débat démocratique, décidera de ce que la loi couvrira, ou pas. Par exemple, le contenu précis des logs de connexion... Une porte ouverte à tous les abus selon les défenseurs des libertés sur Internet.