Jean-Christophe Le Toquin, délégué général de l’Association des fournisseurs d’accès et de services Internet (AFA), réagit à la dernière mouture du texte de la loi sur la société de l’information. Mal.
Quel est votre sentiment général sur le texte actuel ?
Il contient quelques beaux principes, mais dénaturés par certaines dispositions. C’est le cas, par exemple, du traitement des données de connexion : en théorie, elles doivent être effacées ; en pratique, elles seront conservées pour les enquêtes de police. Jusqu’à présent, quand la justice voulait retrouver des données de connexion, elle ne rencontrait jamais de difficulté particulière. Et là, on veut imposer aux fournisseurs d’accès qu’ils gardent ces informations quatre fois plus longtemps. En plus, il n’y a aucune spécification du type de données concernées. Le texte ne parle que de "données techniques". En pratique, ça peut être l’adresse de l’ordinateur connecté, celle des sites visités, le nombre de messages reçus et envoyés ainsi que les destinataires. De toute façon, dans nos discussions avec le gouvernement, il est apparu clairement que les services de police veulent obtenir un maximum d’informations.
En revanche, le projet de loi dispense les fournisseurs d’accès et les hébergeurs de surveiller a priori les contenus qui passent par leur intermédiaire...
Certes, le texte introduit ce principe tiré de la directive européenne sur le commerce électronique. Très bien. Le problème, c’est qu’on charge les fournisseurs d’accès d’informer l’autorité judiciaire lorsqu’ils ont connaissance d’un fait illicite. En droit français, ce type d’obligation est limité aux crimes. Là, on l’étend à tout un tas d’infractions non criminelles comme la contrefaçon. Or cette transcription de la directive est partielle, car le dispositif de la Commission européenne prévoit une collaboration entre le privé et les pouvoirs publics, l’autorité judiciaire aidant les entreprises à s’y retrouver dans ce qui est licite ou non. Par exemple, en mettant en place des hotlines comme en Belgique. Mais la loi française n’a pas du tout retenu cette optique.
Quelle est la mesure que vous contestez le plus ?
La disposition la plus inepte concerne le filtrage : le président d’un tribunal de grande instance peut ordonner d’empêcher l’accès à un site. Résultat : on va créer des listes noires qui feront de la pub indirecte aux sites concernés. En attendant l’exécution du jugement, les internautes pourront se connecter à ces sites, et même en créer des copies temporaires stockées sur des serveurs intermédiaires. Et les opérateurs n’auront pas la possibilité matérielle de les supprimer. Nous avions attiré l’attention du gouvernement sur ces questions. Il ne nous a pas compris. Il a arbitré dans le sens d’une solution au fort potentiel répressif. Et de toute façon, la France n’est pas la seule à promouvoir ce genre de solution. Elle existe déjà en Australie et sans doute bientôt en Allemagne.