"L’industrie musicale doit s’adapter au modèle P2P, plutôt que de s’évertuer à en créer un nouveau" [Laurent Rossi]
Le directeur du label Beggars participe à PlayLouder, qui offre du son en plus du haut débit, sur abonnement
Depuis le 1er novembre dernier, la société PlayLouder teste au Royaume-Uni un abonnement à l’internet d’un genre nouveau. Auto-baptisé "Fournisseur d’accès à la musique" ("Music Service Provider", MSP), Playlouder fournira à ses abonnés, en plus d’un abonnement classique ADSL haut débit, l’accès à tout le catalogue de cinq labels indépendants via les réseaux d’échange de fichiers peer-to-peer. Cette approche inédite vise à offrir un modèle légal de distribution de la musique en ligne en s’appuyant sur les schémas plébiscités par le public. Laurent Rossi représente en France Beggars Banquet Group, qui regroupe plusieurs labels (XL Recordings, Matador, Mo’Wax, Too Pure...) puissants sur le créneau "indépendant" du marché, avec des artistes comme les White Stripes, les Pixies, Yo La Tengo ou Matmos. Cette structure américaine participe à l’initiative PlayLouder, aux côtés des labels V2, Pias et Ninja Tune.
Pourquoi Beggars Banquet se lance-t-il dans l’aventure Playlouder MSP ?
Laurent Rossi : Pour Beggars Group et ses labels, tout système légal et équitable de diffusion, distribution ou échange de fichiers sur l’internet est à encourager. Il n’y a de fait aucune raison valable pour que Beggars rejette un modèle viable, légitime, respectueux du consommateur et des artistes, d’où qu’il vienne. Playlouder est un partenaire de longue date, et surtout une entreprise qui a fait ses preuves : cela a forcément été un élément déterminant de la décision. De manière globale, les gens aiment savoir à qui ils font affaires. Comme pour tout business, c’est une question de confiance et d’équité.
Quel rôle vos labels donnent-ils à l’internet dans la découverte et la distribution de nouvelles musiques ? Quel modèle vous semble le plus prometteur ?
Sur ce point, la ligne de Beggars et des labels du groupe est claire : il faut donner au consommateur le moyen d’accéder facilement à la musique, de manière légale et équitable, quelque soit le support. Au niveau promotionnel, il est évident que nous n’en sommes qu’au prémices, et que pour l’instant on adapte au mieux ce qui existe dans le monde physique (articles, photos, musique en streaming...).
Le web et les nouvelles technologies sont cependant à même de révolutionner le marché de la musique. Dans un fichier mp3, on peut ainsi concentrer tous les corps de métier de l’industrie musicale : d’un coup d’un seul, la promotion, le marketing et la distribution ne font plus qu’un. Le développement des systèmes d’abonnement aidera à développer de nouveaux talents. Peu contraignant pour le consommateur, ce modèle permet non seulement de générer des revenus, mais également de faire la promo des jeunes artistes : "Pourquoi ne pas voir ce que c’est, vu que ça ne me coûte pas plus cher ?". Seul des systèmes de ce genre permettront à l’industrie du disque de rentrer de profiter au mieux des stratégies de marketing viral.
Pourquoi, selon vous, cette révolution n’a-t-elle pas encore eu lieu dans l’industrie du disque ?
Le processus de légalisation et d’encadrement de la musique en ligne a été enfanté par les indépendants et n’a pu se faire que grâce à quelques bonnes volontés. Il est ainsi regrettable de constater que de la fin des années 90 au tout début des années 2000, les gros acteurs du marché, comme certaines sociétés civiles, se sont montrés terriblement passifs et conservateurs, laissant de fait le champ libre aux sites P2P.
Aujourd’hui, l’offre physique se rétrécit, notamment sur le "back catalogue" (les disques "passés", qui ne sont pas des nouveautés, Ndlr). De plus, on contraint le consommateur avec des systèmes de copy control qui ne lui laissent pas la possibilité d’exercer son droit à la copie privée. Il n’est pas étonnant que de plus en plus de monde se tourne vers les plateformes peer-to-peer. Je les utilise moi-même, en attendant mieux. Aux acteurs du marché, maintenant, de proposer ce mieux.
Avez vous des craintes concernant ce système ? Trouvez-vous que le partage légal via les logiciels classiques de P2P, tel que le propose PlayLouder, soit une bonne solution ?
Vu la situation actuelle, quelle crainte peut-on avoir ? Encore une fois, toute solution "légaliste" se doit d’être encouragée et expérimentée. L’avantage de ce système, c’est qu’il ne s’apparente pas à un choc culturel pour les internautes habitués aux logiciels P2P, mais comme une alternative légale. C’est finalement une adaptation du mode de diffusion de musique le plus couramment utilisé par les internautes. Pour une fois, une compagnie "légaliste" s’adapte au modèle existant plutôt que de s’évertuer à en créer un nouveau. C’est sans doute ce qui sera la clé de son succès...
Le site du Beggars Banquet Group:
http://www.beggars.com
Le site de Playlouder:
http://www.playlouder.co.uk
Une société britannique lance le premier "fournisseur d’accès à la musique" (Transfert.net):
http://www.transfert.net/a9521