Ernst Malmsten, 31 ans, a digéré l’échec de boo.com, la start-up qui vendait du sport chic en ligne, en écrivant sa saga. Elle va être portée au cinéma. Portrait d’un jeune homme sans remords.(*)
C’est donc lui l’homme qui valait des dollars par millions. Lui qui dans les boîtes et les bars à la mode, jardins d’enfants de l’internationale -startupiste, poussait des barrissements de cirque. En brandissant son verre (vodka + pamplemousse), bras dressé en guise de trompe. C’était aux belles heures de boo.com, réussite spectaculaire de la vente sur Internet. Catastrophe économique retentissante pour finir. C’est fini depuis mai 2000, et Ernst Malmsten, fondateur d’une entreprise brièvement élevée au rang de mythe achève de digérer la tasse. Grandeur et décadence de la nouvelle économie. Poussières et réminiscences d’un Rastignac nordique dont le " A nous deux maintenant ! " ne s’adressait pas à Paris mais au village planétaire.
A-t-il vraiment barri ? C’est ça la question importante, le baromètre de la légèreté d’un temps où les gros portefeuilles de l’univers se pressaient à son tour de table. Le Français Bernard Arnault, les Italiens Benetton, le financier américano-hongrois Soros, tant d’autres, par l’odeur alléchés du jus gras de la nouvelle économie. " Barrir ? Euh... oui, je l’ai probablement fait " concède Ernst, mais où et quand, ça... Il assume. Tout ou presque. Avec cet imperturbable sens de la réalité des trentenaires du siècle, exarcerbé de culture protestante suédoise. Examen de conscience sans quête d’absolution.
Chroniquer sa propre défaite
Trente ans. " Pfff ...trente -et- un, je vieillis ! " souffle une voix polie, module- son inadapté à cette carcasse de deux mètres de haut. Depuis la fermeture de Boo.com, lestée de 30 millions de dollars de passif pour plus de 100 investis, il a pris quelques cheveux gris. Dans l’ombre, pendant dix-huit mois, il a écrit, en compagnie d’un journaliste et d’un scénariste britanniques, l’histoire de l’échec : " boo hoo, une histoire de dot.com, du concept à la catastrophe ", publié en novembre dernier à Londres (1) Tout est dit, du titre_ onomatopée du sanglot en anglais_ à l’analyse clinique du sous -titre. Par lui choisis.
Chroniquer sa propre défaite, tout de même, quel estomac... !
À la question " Pourquoi ? ", Malmsten a bien dû donner cent réponses. Cent fois, pour assurer le service après vente de l’ouvrage, il a aimablement formulé, du bout de ces dents du bonheur qui auraient pu lui porter chance : " Besoin d’en parler, comme une thérapie, plutôt que de commencer un autre boulot ". Une pause, dans le pub blafard de Pimlico, à Londres, où, à la fourchette, il monte dignement à l’assaut d’un BLT caoutchouteux : " J’avais envie de revenir dans la lumière... ".
On ne tape pas sur l’épaule de la Tour Eiffel. Aucune tentative, frontale ou sournoise, ne déboulonne le savant édifice antisismique. S’il a craqué après la chute finale ? ...videmment, " enfermé chez moi, juste un ciné à midi... Le vide, le premier jour sans les 18 heures passées au bureau. Dramatique. " S’il a mérité tout le mal qu’on a dit de lui et de sa gestion ? " On était la première start-up d’envergure européenne qui se montait, la première à faire faillite. Aujourd’hui, ça n’intéresserait plus personne ! "S’il a fait amende honorable de l’échec ? " J’étais bien jeune... "
Ivresse des cîmes
Boo vendait du glamour et en est morte, précédée d’un hallali furieux. Descente en flammes des voyages en jets et en Concorde du staff, du champagne coulant à flots, des trainings de communication, des achats de pages de pub à prix hymalayens : " C’est difficile de dépenser autant de millions en Concorde et en champagne, non ? " ponctue Ernst Mamsten. Il a pris la mesure du mythe, sulfureux mais grisant, créé autour de l’entreprise quand les télés japonaises ont débarqué devant son siège londonien, le jour des funérailles.
Il voulait conquérir le monde. Il a imprimé sa marque éphémère dans 18 pays. Il a beaucoup appris des grands fauves de la finance. Le tout aurait dû produire une collision dans cet esprit plus spontanément tourné vers la poésie qu’enclin aux chiffres, organisateur, dans ses (très) jeunes années, de festivals consacrés aux poètes nordiques à Lund, sa ville suédoise natale et à New-York. Bernique. "Il existe des liens entre certains investisseurs et la poésie. Les Benetton, ils sont étranges, ils ont rêvé leur vie... "
Lui aussi. Partir de Suède, " ce trop petit pays" pour un gamin chargé d’énergie. À quinze ans, ce fils unique d’une psychanalyste et d’un avocat se voyait diplomate, dénoueur de conflits. À trente -et- un, il a attrapé une manière d’ivresse des cîmes : " trouver une idée en deux secondes et mettre deux ans à la réaliser, ça m’inspire ! " Il recommencera. Sapé comme un dandy décontracté- costume de velours caramel et v-neck bordeaux- il prépare son retour depuis Notting Hill. Dans la mode, à petite échelle. Envisage un roman. Et veille sur son image. Dans le contrat, signé pour l’adaptation au cinéma du livre sur boo, il a fait insérer une clause restrictive : "Ils peuvent tout faire, sauf me dépeindre en cynique ".
(1) Boo Hoo, a dot.com story, Random House, 386 pages, 14,99 Livres.
* Article publié dans Transfert magazine n° 21