Du 15 au 17 octobre 2003, l’Ircam (l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique, créé en 1977 par Pierre Boulez) organise des colloques consacrés à l’analyse et à l’écoute musicale dans le cadre de Résonances, "rencontres internationales des technologies pour la musique". A l’heure ou les systèmes d’écoute destinés au grand public sont de plus en plus perfectionnés, ces rencontres s’adressent aussi bien aux musicologues avertis qu’aux férus de son à domicile. Le colloque s’articule autour de deux thèmes : le premier, plus théorique, abordera l’évolution des méthodes d’écoute de la musique ; le deuxième, plus concret, concerne les nouveaux moyens d’entendre et de manipuler le son. Vincent Puig, responsable de la médiation à l’Ircam, explique la démarche.
Que recouvre l’analyse musicale, principal thème du colloque de l’Ircam ? Ce domaine n’est-il pas réservé aux professionnels du son ?
Philippe Puig : Pour le grand public, l’analyse musicale est effectivement réservée aux musicologues. Elle concerne l’étude des grands courants musicaux et des structures musicales à l’intérieur d’un morceau. Mais elle désigne aussi les outils destinés à l’écoute musicale. Nous parlons aujourd’hui "d’écoute assistée par ordinateur". Nous employons ce terme depuis l’arrivée des dispositifs hardware et software (matériels et logiciels, Ndlr) dédiés à une "écoute instrumentalisée" chez soi. Ces dispositifs comprennent des systèmes de navigation, de visualisation et d’écoute en 3D qui ne sont plus réservés aux professionnels : le DVD, les systèmes de sonorisation 5.1 (cinq enceintes et un caisson de basse, Ndlr) et le couplage TV/chaine HiFi les ont démocratisés.
Ces systèmes permettent-ils au grand public de jouer à l’apprenti-compositeur ?
Non, pas vraiment. En revanche, un système de visualisation sur le téléviseur connecté à une chaîne HiFi permet de disposer les sons dans l’espace : on peut par exemple passer derrière le chef d’orchestre, ou s’approcher des cuivres, tout en restant dans son canapé. Ces changements s’effectuent de manière très simple, en intervenant sur l’interface graphique qui s’affiche sur l’écran de la télé à l’aide d’une souris ou d’une télécommande. Mais ces changements sont limités : on ne peut pas intervertir la place des cuivres avec celle des violons par exemple. L’écoute, même interactive, reste signée. L’oeuvre est respectée.
L’Ircam semble en pleine mutation : l’institution, autrefois réservée à des musicologues avertis, compte-t-elle s’adresser à un public de plus en plus large ?
Nous évoluons. Jusqu’à maintenant, nous travaillions essentiellement avec des compositeurs. Aujourd’hui, nous accueillons aussi des interprètes, des musiciens, des ingénieurs du son, très friands de technologies. Ces métiers ont beaucoup évolué avec l’arrivée de l’informatique. Aujourd’hui, lorsqu’un un ingénieur entre un son dans un ordinateur, il peut le déformer à volonté. Son métier est devenu beaucoup plus créatif. Nous nous adressons aussi à un public nouveau : les auditeurs. Pour l’instant, nous intervenons surtout dans le domaine de l’éducation et de la pédagogie. Mais nous commençons à développer des outils destinés au grand public.
Pouvez-vous citer un exemple d’outil que l’Ircam développe pour le grand public ?
Nous travaillons notamment sur la navigation sémantique, qui permet de se déplacer, dans la liste numérisée des titres de sa discothèque, par mots-clés ou selon l’humeur du moment. Vous organisez un diner italien avec vos amis par exemple : Vous pouvez créer une compilation de 100 morceaux italiens, en indiquant juste le premier et le dernier titre de la liste, et demander à ce que les morceaux les plus calmes soient diffusés pendant l’heure du dîner.
Ce type d’outil permet de chercher des morceaux par "similarité culturelle". Vous choisissez Alain Souchon dans votre discothèque, le logiciel vous propose aussi Laurent Voulzy. Nous avons développé ce système en nous inspirant du Web, des sites consacrés à Alain Souchon sur lesquels le nom de Laurent Voulzy apparaît.
A l’heure actuelle, nous développons ces dispositifs essentiellement pour des besoins internes et pour des maisons de disque. Mais nous espérons qu’un jour, ils seront chez chacun de nous.
Nous avons de nombreux projets dans ce sens : nous réfléchissons par exemple sur la chaine HiFi du futur. Un projet encore secret aujourd’hui, que nous dévoilerons en 2004.