Alain Lefebvre, 35 ans, est l’ancien vice-président du groupe SQL. Une société de services informatiques qui a misé sur les logiciels libres. Il est également auteur de livres sur l’informatique (1).
Que retenez-vous de cette décennie Linux ?
Cette première décennie a été celle de "la progression". Face à une innovation majeure, les sceptiques rétorquent toujours que la portée de celle-ci demeure limitée. Il y a 15 ans, les gens disaient : "Les bricoleurs de la FSF (Free Software Foundation) ont développé quelques belles démonstrations mais rien de sérieux ni d’utilisable." Le projet GNU a démontré le contraire. Aujourd’hui, il est de bon ton de prétendre que l’open source se limite aux couches systèmes et ne produira rien de significatif en dehors de Linux. Or, même dans le domaine des solutions très exigeantes, comme les suites bureautique, Star Office est désormais considérée comme une alternative viable à Microsoft Office. Même chose pour GIMP qui est devenu un concurrent de Photoshop.
Comment Linux a-t-il servi la cause des logiciels libres ?
En se penchant sur le fonctionnement de Linux, on obtient une réponse globale sur la qualité d’ensemble des projets de logiciels libres car ce système, devenu très populaire ces derniers temps, peut être vu comme un "concentré d’OSS". En effet, le noyau de Linux est complété par toute une compilation des principaux projets OSS : Apache, SendMail, Perl, Xfree, etc.
Quel avenir pour Linux ?
Côté serveur, le couple PC-Linux va se développer comme le couple PC-Windows s’est imposé dans le poste de travail. En effet, tout indique que les serveurs basés sur l’architecture Intel, utilisant Linux, progressent plus rapidement que les autres solutions (serveurs Risc fonctionnant avec des Unix propriétaires). Tant en parts de marché qu’en termes de potentiel. Les Unix des constructeurs vont, selon moi, disparaître et être remplacés par Linux. C’est une tendance lourde qui a déjà largement commencé à produire ses effets. Le premier à franchir le Rubicon fut SGI et les autres (IBM, HP, etc.) vont l’imiter tôt ou tard. Quel intérêt pour un constructeur de continuer à dépenser de l’argent et de mobiliser des ressources à maintenir une version d’Unix de moins en moins attractive alors que, progressivement, le support de Linux devient un argument de vente ? Le dernier à résister devrait être Sun car il présente deux caractéristiques uniques vis-à-vis du peloton des constructeurs : c’est celui qui a l’Unix le plus populaire (Solaris) et c’est aussi celui qui le plus à perdre dans cette évolution vers Linux. Pour les autres, la messe est dite : ce sera Linux pour tous ! D’ailleurs, le président d’IBM, Lou Gerstner, a déjà annoncé la volonté de sa société d’investir un milliard de dollars (plus de sept milliards de francs) dans le système d’exploitation Linux. IBM estime que ce système dépassera Windows NT à partir de 2004. En revanche, je reste encore mesuré sur la possibilité de Linux de se répandre largement du côté du poste de travail. Dans ce domaine, la facilité d’installation et d’usage est vraiment un facteur clé... Et il reste vraiment du travail à faire.
(1) Prochain ouvrage à paraître (octobre 2001) : Le troisième tournant, comment l’Internet va imposer l’ère du service dans l’informatique professionnelle.