L’armée française invente la "pressuasion", mélange de prévention et de dissuasion
En janvier 2003, le Centre des hautes études de l’armement (CHEAr), un comité interne de la Délégation générale de l’armement (DGA), créait un nouveau concept de défense nucléaire : la pressuasion (un néologisme formé de la contraction des mots "prévention" et "dissuasion"). Basée à la fois sur les armes conventionnelles et sur les armes nucléaires, la pressuasion est une réponse adaptée à une nouvelle menace : celle que représente les puissances régionales dotées d’armes de destrcution massive (ADM). La pressuasion est aussi un concept qui permettrait à la France de "relancer", en toute discrétion et au mépris des traités internationaux, sa dissuasion nucléaire.
La défense actuelle de la France repose principalement sur deux volets : l’armement conventionnel et l’armement nucléaire (si on excepte un troisième volet, celui des actions diplomatiques). Or, ces moyens de défense ne sont pas adaptés aux menaces potentielles que représentent les "Etats voyous" qui possèdent des armes de destruction massive. "Dans les conditions actuelles, le déclenchement du feu nucléaire contre un agresseur plus faible que la France entraînerait des destructions d’une ampleur tellement disproportionnée avec l’importance de l’agresseur qu’elle perd toute crédibilité à son égard", soulignent, dans leur rapport paru dans la revue Défense Nationale de janvier 2003, les membres de la 38e session nationale (comité 4) du CHEAr. Leur conclusion : "La France ne dissuade donc pas".
Pour répondre à ce nouveau déséquilibre mondial, ce comité propose d’entrer dans l’ère de la pressuasion. Un concept de défense adapté à des menaces auxquelles ne répond ni l’armement nucléaire ni l’armement conventionnel.
Small is beautiful
Le champ d’action de la pressuasion permet d’une part de renforcer la crédibilité (c’est-à-dire la menace d’utilisation) de l’armement nucléaire tout en abaissant les capacités de destruction de ses armes, et d’autre part de renforcer l’efficacité des actions conventionnelles (militaires et diplomatiques).
Concrètement, la pressuasion constitue, pour ces responsables de haut niveau du secteur de l’armement, le meilleur système de défense. Elle permettrait à la fois de disposer d’un armement nucléaire composé d’ogives miniaturisées de faible puissance et d’un armement conventionnel de forte puissance (composé par exemple d’armes électromagnétiques). Ces munitions conventionnelles ou nucléaires seront montées sur un seul et unique type de missile de croisière de haute précision, ce qui permettrait de rentabiliser les unités aériennes pour l’instant uniquement affectées à la dissuasion nucléaire. Ainsi, "la mise en oeuvre d’un missile de croisière deviendrait une mission type, quelle que soit la nature du missile, nucléaire ou classique" notent les membres du CHEAr.
L’adoption d’un tel concept entraîne un changement radical dans la façon d’envisager l’emploi de l’arme nucléaire, considéré non plus comme une arme d’ultime avertissement mais comme une arme dont l’usage serait le champ de bataille, les bunkers et autres sites souterrains profondément enterrés qui renfermeraient des armes de destructions massives.
Cette évolution reflète celle des militaires américain, révélée dans un article de la Nuclear Posture Review paru en janvier 2002. Les Etats-Unis avaient alors annoncé leur volonté d’acquérir des armes nucléaires de faible puissance (les mininukes) pour détruire tous les bunkers qui abriteraient des ADM.
Un néologisme, mais pourquoi faire ?
Actuellement, il est clair que la France ne peut s’engager dans la voie de la miniaturisation des armes nucléaires. La pressuasion restera vraisemblablement à l’état de concept pendant plusieurs années.
Deux raisons a cela. Premièrement, un "manque" de ressources financières malgré la hausse du budget alloué au nucléaire militaire (plus 20 %) dans les crédits de l’équipement (14,9 milliards d’euros en 2004). Seconde raison : l’ arsenal nucléaire français est actuellement en pleine restructuration. Celui-ci ne sera définitivement renouvelé qu’en 2015, avec l’arrivée de nouveaux vecteurs nucléaires (les Rafales F3 et leurs missiles air/sol moyenne portée améliorée, les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de nouvelle génération et le missile balistique M-51) et de nouvelles ogives nucléaires (des têtes aéroportées et océaniques).
En outre, la France a souscrit à de nombreux accords internationaux de contrôle et de limitation des armements nucléaires. Le plus connu, le Traité de non prolifération nucléaire (TNP), l’engage à poursuivre des négociations pour parvenir à un désarmement nucléaire général et complet.
La France a aussi signé différentes conventions relatives au droit humanitaire, qui interdisent toute attaque (au sens large : tout acte de violence offensif ou défensif) contre des civils.
Difficile d’imaginer, dans ces conditions, que la France puisse se lancer dans la pressuasion. Mais cette réflexion sur l’amélioration du rôle de la dissuasion française prouve qu’il existe une volonté politique et militaire de développer, et pas seulement de conserver, l’arsenal nucléaire français.