Jean-François Mattéi, nouveau ministre de la Santé et auparavant député Démocratie libérale, est un opposant de longue date aux brevets sur le vivant. Pour des considérations éthiques avant tout, mais aussi pour des raisons économiques, comme il l’explique dans cette interview réalisée avant sa nomination au poste de ministre.
Les propos ci-dessous ont été recueillis le 11 avril 2002, à l’issue d’un petit-déjeuner organisé par l’association France Biotech, le lobby des professionnels du secteur des biotechnologies. À l’époque, Jean-François Mattéi était député, président du groupe parlementaire Démocratie libérale à l’Assemblée nationale, initiateur de la pétition contre la brevetabilité du vivant. Et farouche opposant aux disposition de la directive européenne de juillet 1998 qui autorise des brevets sur la matière vivante. Le 7 mai 2002, Jean-François Mattéi a été nommé ministre de la Santé, de la famille et des personnes handicapées.
Pourquoi êtes-vous opposé au brevetage du vivant ?
L’appropriation du vivant, même pour une période limitée comme la durée d’un brevet, n’est pas acceptable. C’est une question de principe. D’une part parce que la connaissance, la simple découverte, ne doit pas être brevetable, c’est le patrimoine de l’humanité. Seule l’innovation doit pouvoir être protégée par la propriété intellectuelle. D’autre part, mon combat est exclusivement attaché au sujet du vivant humain, qui pose des problèmes éthiques particulièrement aigus.
Une restriction de l’étendue des brevets n’impose-t-elle pas aux sociétés de biotechnologies de revoir leur modèle économique ?
Les industriels aimeraient faire croire qu’interdire de breveter les éléments vivants qui existent à l’état naturel conduirait à leur ruine, mais c’est faux ! L’approche des start-up, c’est d’obtenir des titres de propriété intellectuelle tous azimuts afin de pouvoir lever des fonds en faisant miroiter les espoirs de rentabilité. Les grandes multinationales de l’industrie pharmaceutique ont, elles, compris qu’elles ne pouvaient pas breveter la connaissance, car cela leur ferait courir le risque, pour leurs innovations futures, de dépendre les unes des autres. Or, ce sont les Etats-Unis qui ont déposé 60 % des gènes identifiés, suivis par l’Angleterre avec 30 %. La France, par comparaison, n’a dans son portefeuille que 3 % des gènes identifiés. La brevetabilité pourrait donc coûter extrêmement cher à l’industrie française.
Utiliser la position relative de la France dans la compétition mondiale autour des biotechnologies pour combattre la brevetabilité du vivant ne risque-t-il pas d’affaiblir le caractère éthique de votre démarche ?
C’est totalement second par rapport aux préoccupations éthiques. Mais l’argument économique et la menace de dépendance de la recherche française sur les brevets américains touchent plus les professionnels du secteur des biotechnologies. L’argument éthique, je le réserve pour l’Assemblée nationale et pour sensibiliser le grand public.
Où en est votre pétition contre le brevetage du vivant et contre la transposition de la directive européenne ?
Depuis son lancement en avril, nous avons recueilli plus de 13 000 signatures. Le plus significatif, c’est de regarder les signatures d’institutions prestigieuses, comme la Ligue nationale contre le cancer, l’Association française contre les myopathies, Médecins du Monde, la Croix rouge. Et cela porte ses fruits, puisque la révision de la loi de bioéthique de janvier 2002 inclut une disposition contre la brevetabilité du vivant,. De la même manière, le projet de transposition de la directive en discussion à l’Assemblée nationale fait l’impasse sur son article 5, celui qui permet de breveter le vivant.
Reste que, selon les règles de l’Union européenne, la directive s’impose aux législations nationales, sans même attendre la loi de transposition. Comment gérer cette contradiction ?
Les ministères de la Santé et de la Recherche ont suggéré de recourir à des licences obligatoires lorsque les conditions dictées par le détenteur d’un brevet sur une séquence génétique constituent un risque pour la santé publique. Ce n’est qu’une manière de contourner le problème, en évitant soigneusement de poser les questions éthiques. Nous réclamons donc que la directive soit renégociée, pour éviter une contradiction à long terme.
Quelle chances d’obtenir une révision de la directive ?
Dans tous les pays démocratiques, les lois en vigueur peuvent être abrogées ou amendées par les parlementaires lorsqu’elles sont controversées. Si l’Union européenne ne le permet pas, c’est grave.
Le site de Jean-François Mattéi:
La pétition contre les brevets sur le vivant:
http://www.soshumangenome.com