Quelques concessions... mais 26 milliards d’euros d’aides pour les industriels du secteur
Le Sénat américain doit adopter définitivement aujourd’hui la première loi d’orientation majeure en matière de politique énergétique depuis une décennie aux Etats-Unis. Le texte, voté mardi à une large majorité par la Chambre des représentants, devrait permettre de débloquer sur dix ans 26 milliards d’euros d’aides en faveur des industries des hydrocarbures, du nucléaire et du charbon, sous forme d’allègements de taxes et de subventions à la production. En encourageant la production énergétique nationale, cette nouvelle loi va permettre aux Etats-Unis, selon le président George Bush, d’être "moins dépendants envers les sources d’énergies étrangères".
Pour certains des sénateurs de l’opposition démocrate, il s’agit surtout de récompenser plusieurs groupes industriels de l’énergie pour leur soutien à l’administration républicaine. Fruit d’une négociation de trois ans, le texte abandonne un projet très controversé de prospection pétrolière dans un vaste parc naturel d’Alaska. Mais il prévoit aussi un moratoire dans l’application de la loi sur la propreté de l’air pour de nombreuses villes américaines. Il garantit l’immunité des raffineries pétrolières responsables d’une pollution cancérigène dans les circuits d’eau potable de plus de 1500 villes américaines. Enfin, la loi n’impose aucune contrainte aux constructeurs automobiles afin qu’ils réduisent la consommation de leurs véhicules.
Après trois années d’âpres débats, la Chambre des représentants américaine a adopté mardi par 246 voix contre 180 un projet de loi d’orientation énergétique devenu l’un des principaux centres de préoccupation de l’administration Bush, après le scandale de la faillite d’Enron et les gigantesques pannes d’électricité intervenues en Californie et sur la côte Est.
A moins d’une surprise, le Sénat (majoritairement républicain) devrait adopter définitivement les 1148 pages du texte aujourd’hui.
Sur les 26 milliards d’euros d’aides débloquées par Washington, 12,1 prennent la forme d’allègement fiscaux pour les industries américaines qui exploitent les énergies fossiles à base de carbone (pétrole, gaz naturel et charbon). Ces énergies sont les première émettrices de CO2, un gaz à effet de serre à l’origine du réchauffement du climat. A eux seuls, les Etats-Unis émettent plus du quart du total des émissions mondiales de CO2.
Le reste des aides accordées par la nouvelle loi sont principalement destinées au soutien de l’industrie électronucléaire.
Le texte a obtenu un soutien inattendu de la part de nombreux congressmen de l’opposition. De nombreux élus démocrates des régions agricoles du Middle West ont notamment été sensibles à une obligation formulée par le projet de loi républicain, qui vise à doubler la production de biocarburants à base d’éthanol d’ici à 2012. Le Congrès s’engage à conduire les Etats-Unis à produire 119 millions de barils par an d’ici là (soit soixante fois moins que les quelque 7 milliards de barils de pétrole que consomment chaque année les Américains).
L’éthanol est un carburant carboné qui crée moins de pollutions atmosphériques que l’essence de pétrole. Seul défaut : il est distillé à partir de maïs, une plante aussi particulièrement vorace en eau qu’en engrais et en pesticides lorsqu’elle est cultivée de manière intensive.
Autre concession de la part des Républicains : après un projet vif combat avec les écologistes, ils ont finalement renoncé à autoriser la prospection pétrolière dans le plus grand parc naturel américain, l’Arctic national wildlife refugee, situé dans le nord de l’Alaska.
Ces deux gages de bonnes intentions environnementales n’ont pas suffit à emporter l’addhésion de certains tenor du parti démocrate. L’aide de 26 milliards d’euros d’aide offerte aux industriels de l’énergie est au centre des critiques. Le sénateur d’Arizona John McCain a décrit la loi énergétique comme un texte "qui n’oublie aucun lobbyiste" ni aucun pourvoyeur de fonds des campagnes électorales américaines. D’après le sénateur démocrate de Virginie Robert Byrd, la nouvelle loi "fera autant pour améliorer la sécurité énergétique (américaine) que ce que l’invasion de l’Irak a fait pour arrêter l’expansion du terrorisme international".
Frais de Bush
Le projet de loi de Bush est une bonne nouvelle pour les industriels de l’énergie tels que Exalon Corporation, pour les producteurs d’hydrocarbures (ConocoPhillips, Halliburton, etc) ou encore pour les compagnies de prospection (notamment Nabor Industries) Autant de sociétés ayant directement ou indirectement participé à la "task force" secrète mise en place par le vice-président Dick Cheney afin de définir la politique énergétique américaine et d’aboutir à la loi actuellement débattue. Depuis la victoire électorale des Républicains en 2000, ce groupe de travail, accusé de n’avoir donné la parole ni aux écologistes ni aux consommateurs américains, est au centre de la polémique autour des liens plus qu’étroits entretenus par l’administration Bush avec les industriels de l’énergie (et du pétrole en particulier).
Les critiques dénoncent le fait que la loi va enrichir les industriels de l’énergie sans rien faire, ou presque, pour réduire la consommation énergétique et la pollution, ni développer les énergies renouvelables. "L’industrie va récolter des profits grâce aux allègements de taxes, mais il n’y a aucun bénéfice pour le public. C’est juste un gaspillage d’argent", résume un analyste de l’association de consommateurs US Public Interest Research Group, interrogé par l’agence Associated Press.
Le coût de la loi pour les contribuables américains, évalué par le bureau indépendant du Congrès sur les questions budgétaires devrait atteindre 39 milliards d’euros d’ici à 2008, puis 44 milliards d’euros au cours de la décennie suivante. Ce surcoût devrait principalement se traduire par une augmentation "sensible" des factures d’essence, de gaz et d’électricité, estime l’administration du Congrès.
Plusieurs arbitrages de dernière minute ayant permis au projet de loi d’obtenir une large majorité au sein de la Chambre des représentants sont particulièrement dénoncés par les associations de défense de l’environnement.
L’un de ces arbitrages entre les élus républicains et démocrates prévoit notamment une immunité judiciaire pour les compagnies pétrolières et les raffineries considérées comme responsable de la pollution de l’eau potable de plus de 1500 villes américaines par le MTBE, un produit additif au pétrole officiellement considéré comme cancérigène.
La loi offre également à plusieurs grandes villes américaines un aggiornamento de l’entrée en vigueur de la loi contre la pollution atmosphérique, adoptée au début de l’année 2003.
Le texte soutenu par Bush laisse enfin de côté toute mesure visant à inciter les constructeurs automobiles à réduire la consommation de leurs véhicules.
L’examen de la loi par le Sénat commence aujourd’hui. Une douzaine de sénateurs (pour la plupart démocrates) ont annoncé leur intention de "tuer" le texte. Mais le vote de 41 sénateurs serait nécessaire pour y parvenir. Pour faire passer leur loi, les rapporteurs républicains promettent que les 26 milliards d’euros d’aide à l’industrie énergétique permettront à terme de créer un million d’emploi.