"L’addiction aux jeux vidéo et à la drogue ont le même mode de fonctionnement" [Jean-Claude Matysiak]
La dangerosité des jeux vidéo est décidément un sujet récurrent. Après avoir été accusés de développer des comportements violents chez les jeunes et de favoriser une confusion entre monde virtuel et réalité, les voici désignés comme source d’addiction, au même titre que la drogue ou l’alcool. Le docteur Marc Valleur, médecin-chef de l’hôpital Marmottan, à Paris, qui soigne une vingtaine de patients de 18 à 25 ans accros aux jeux vidéo, a sorti récemmentun ouvrage intitulé Sexe, passion et jeux vidéo. Les nouvelles formes d’addiction ? (Flammarion). Son co-auteur, le professeur Jean-Claude Matysiak, chef de service de la consultation en addictologie du centre hospitalier de Villeneuve Saint-Georges (94), fait le point sur leurs travaux.
Combien d’heures faut-il jouer pour être accro ?
Jean-Claude Matysiak : C’est moins en termes de fréquence qu’en termes qualitatifs. Il n’y a pas de normalité, on a tous le droit à des excès, notamment les adolescents et les jeunes adultes qui sont les premiers concernés par les jeux vidéo. Passer régulièrement 10 heures par jour à jouer est bien sûr inquiétant mais on parle d’addiction quand le jeu devient le centre de la vie au détriment d’autres investissements (affectifs, professionnels, scolaires). Surtout si cette occupation se pratique seul. Quand la dimension d’échange avec les autres disparaît, il faut commencer à se poser des questions.
Connaît-on le nombre de personnes concernées en France ?
Il n’y a pas d’étude nationale sur la question car le phénomène est encore trop récent. Quel que soit le type d’addiction, on considère que, dans la population touchée, il existe 5 % à 10 % de vrais accros.
Quels sont les troubles observés ?
Essentiellement des troubles psychologiques. On assiste à un appauvrissement de la vie affective, relationnelle et intellectuelle. En fonction du degré d’isolement, on peut aussi observer des troubles physiques. Il y a chez certains un état d’amaigrissement car ils ne prennent plus le temps de manger. Pour d’autres, se laver devient une corvée. On a beaucoup parlé d’épilepsie mais cela ne concerne que les gens prédisposés. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne devient pas accro aux jeux par hasard. C’est parce qu’il y a un mal-être existant que l’on fuit la relation aux autres dans les jeux vidéo.
Quels jeux favorisent ce genre de comportement ?
On cite souvent les jeux de simulation d’univers persistant, comme Dark Age of Camelot. On les pratique beaucoup en réseau et, surtout, ils sont sans fin. On crée un personnage qui évolue. Il y a un effet Tamagochi : qu’arrive-t-il à mon personnage quand je ferme l’ordinateur ? En comparaison, les jeux de combat sont beaucoup moins envahissants. D’abord, ils ont une fin programmée et on finit par s’en lasser.
Quelles sont les similitudes avec la consommation de drogues ?
On retrouve dans l’addiction aux jeux vidéo le même mode de fonctionnement, avec, notamment, les trois dimensions : la recherche de plaisir, la quête de limites et l’isolement. Dans un jeu, on essaye d’aller le plus loin possible, on cherche à se surpasser. Les jeux en réseau peuvent permettre d’acquérir une renommée mondiale, de devenir une sorte de star du réseau. Concernant l’isolement, le parallèle avec la drogue est frappant : je commence de façon conviviale et je finis par le pratiquer tout seul. Partager avec les autres devient sans importance. L’addiction devient la seule source de soulagement.
Vous parlez beaucoup du danger d’isolement mais jouer en réseau n’est-il pas une forme de relation aux autres ?
Pour moi, cela reste des relations virtuelles. C’est la même différence qu’entre être accro aux sites pornos et faire l’amour. On ne rencontre jamais l’autre. Cela prouve la difficulté à avoir de vraies relations.
Quel traitement propose-t-on aux accros des jeux vidéo ?
La première chose, c’est de savoir s’ils sont vraiment malades. Pour ceux qui n’arrivent plus à s’en passer, on propose un sevrage progressif, en diminuant peu à peu le nombre d’heures passées à jouer. Mais il faut que la personne le souhaite, sinon il est utopique de vouloir la soigner. Dans les cas vraiment graves, une hospitalisation peut être utile. Mais de toute façon, il faut un suivi psychothérapique grâce auquel on cherche à faire accéder le jeune à une autonomie. L’addiction au jeu vidéo signale souvent une difficulté d’accession à l’autonomie vis-à-vis de sa famille. On cherche ainsi à montrer sa différence ou son indépendance mais sans vraiment partir. Il s’agit en fait d’un déplacement d’une dépendance à une autre. Heureusement, chez les adolescents, les choses évoluent assez rapidement, sauf dans le cas de pathologies graves.
On met longtemps à décrocher ?
On peut dire que cela prend quelques mois, voire une année. Mais il existe des risques de rechute si on ne traite pas le problème de fond. Il y a aussi le danger de passer à une autre forme de dépendance comme les drogues illégales ou l’alcool.