Sébastien Canevet, enseignant en Droit à Poitiers, est un des plus actifs animateurs des discussions juridiques de l’Internet. Et un grand défenseur du logiciel libre.
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Quand et comment avez-vous découvert Internet ?
À Berkeley, en 1986, on avait un ordinateur relié au Réseau dans chaque chambre (protocole UUCP et Bitnet).
Pourquoi vous êtes-vous impliqué dans Internet ? Quel a été le déclic ?
Rentré en France, je trouvais génial de pouvoir continuer de discuter avec les copains, mais je regrettais beaucoup de ne plus pouvoir retenir les bouquins à la bibliothèque à partir de ma piaule.
En France, j’ai commencé à m’impliquer dans la lutte pour les libertés en 1996, lors des premières poursuites – idiotes – contre les fournisseurs d’accès (l’affaire World Net et France Net). Là, je me suis dit : « Il faut faire quelque chose avant que certains s’emparent du problème et pervertissent le débat. » Il faut croire que ce que je disais n’était pas complètement dénué d’intérêt puisque j’ai été membre de la commission Beaussant à cette époque.
Quand avez-vous compris que cela allait vraiment décoller en France ?
Toujours facile de jouer les prophètes à titre rétrospectif, alors je répondrai à la question par une pirouette. J’ai été étonné de voir que cela décollait si tard en France. Je m’attendais vraiment à un décollage dès le début des années 90.
Comment avez-vous vécu la période automne 1999-printemps 2000 ? Que faisiez-vous ?
J’étais déjà universitaire. Cela m’a semblé être un gigantesque foutage de gueule où surnageaient parfois, ça et là, quelques bonnes idées. Je me souviens d’avoir été consulté par une instance publique au sujet d’une start-up à X millions de francs, avec énorme campagne de pub dans le métro à l’appui. Je suis allé voir leur site : il était encore en construction....
Comment analysez-vous aujourd’hui cette frénésie de huit mois ?
C’était n’importe quoi, les investisseurs n’avaient aucun sens critique et faisaient absolument n’importe quoi. J’ai été assez effrayé lorsque j’ai vu les sommes mises en jeu et la désinvolture de la plupart des acteurs.
Quel a été, selon vous, le signal de la chute des dotcoms ?
Bof, c’est un classique problème de confiance, tout à fait analogue à la bourse. Ça ne m’intéresse pas trop, en fait.
Que faites-vous aujourd’hui ?
Je suis toujours universitaire ;-)
Croyez-vous toujours autant à Internet ?
La formulation de la question me gêne, je n’ai jamais mis d’espoirs déraisonnables dans l’Internet...
Croyez-vous au commerce en ligne ? Croyez-vous à l’avenir du Web non marchand ?
Quand on voit la modestie des résultats du commerce en ligne en France (0,14 % du seul commerce de détail, selon le dernier rapport de l’OCDE, si Jeune Mabuse :-), l’Internet marchand n’existe pas.
Le vrai Internet, c’est l’autre, le non marchand. N’inversons pas les choses, s’il vous plaît.
Comment voyez-vous les années à venir ?
La véritable problématique n’est pas celle du marchand (commerce en ligne et consommation), mais un problème de démocratie : expression directe du citoyen, qui peut devenir aussi médiatique qu’un ...tat ou une multinationale. Ça fait peur, d’où diverses tentatives venant des élites – quelles qu’elles soient – pour encadrer cette expression. Je pense à la loi Société de l’information, au traité Cybercrime. Ce sont des textes d’inspiration clairement sécuritaire.
De plus, il est difficile de faire comprendre cela à l’homme de la rue, qui ne retient d’Internet que les pédophiles et les néonazis et trouve tout naturel que l’on cherche à les réprimer même si c’est fait n’importe comment.
Ce serait sans doute différent si on obligeait tous les Français à porter un collier ou un bracelet avec une balise GSM. Là, ils verraient qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond...
Croyez-vous toujours dans ce qu’on a appelé la netéconomie ?
J’y ai jamais cru, alors....
Quelles vont être, selon vous, les futures grandes échéances et que vont-elles apporter ?
Dans mon domaine de compétence, le droit, on assistera à une remise en cause de certains grands principes, comme la compétence universelle, qui etait justifiée avant Internet, mais qui produit des résultats idiots depuis sa survenance.
Mais ce n’est pas vraiment une échéance, là :-)