Il faut redonner confiance au consommateur... et aux entreprises
La Commission européenne a adopté le 18 juin une proposition de directive sur les pratiques commerciales déloyales. Ce texte vise à harmoniser les législations européennes et à unifier les textes, afin que les consommateurs aient la même protection "dans un magasin local ou sur un site web hébergé dans un autre état membre". Bien qu’il définisse un niveau de protection "maximal", le texte, qui cherche aussi à rassurer les entreprises, ne défendra pas forcément mieux les clients.
Dans un communiqué du 18 juin, la Commission européenne développe un argumentaire clair pour justifier son projet de directive sur les pratiques commerciales déloyales : bien que l’on constate des écarts de prix allant jusqu’à 40 % pour un même produit entre les différents pays de l’Union, le commerce transfrontalier stagne en Europe depuis 1991...
"Le dédale actuel des différentes règles en matière de pratiques commerciales mine la confiance des consommateurs et dissuade les entreprises de vendre leurs produits dans d’autres états membres", avance la Commission, qui dit mener ainsi à son terme un processus de consultation auprès d’associations de consommateurs, d’entreprises et de gouvernements nationaux, entamé en octobre 2001 avec la rédaction d’un livre vert sur la protection des consommateurs dans l’Union.
Le système actuel favoriserait les escrocs
Du système en vigueur, les auteurs de la proposition de directive dressent un tableau très noir : "Les seules personnes qui bénéficient du système actuel sont les commerçants malhonnêtes et les escrocs qui exploitent les lacunes et les différences des législations nationales pour tromper les consommateurs."
La directive en projet vise donc à remplacer le "patchwork" législatif en matière de pratiques déloyales, qu’il s’agisse de publicité, de marketing ou de service après-vente.
Le but, pour la Commission européenne, est d’assurer aux clients en Europe "un niveau de protection identique, qu’ils achètent un produit à l’épicerie locale ou qu’ils l’achètent sur le site internet d’une société établie dans un autre état membre."
Qu’est ce qu’une pratique commerciale déloyale ?
La directive prend le parti de définir non pas des obligations positives auxquelles les entreprises devraient se conformer, mais des critères négatifs permettant de définir ce qu’est un pratique déloyale, partout en Europe.
Selon la clause générale, la plus importante, une méthode de vente est déloyale lorsqu’elle est "contraire aux exigences de la diligence professionnelle" et qu’elle "entraîne une altération substantielle du comportement des consommateurs". En d’autres termes, si elle est contraire au code de bonne conduite commerciale et pousse délibérément le consommateur à acheter.
La Commission précise que le consommateur pris comme référence dans la directive est "normalement informé et raisonnablement attentif et avisé", ce qui suppose que le texte ne s’applique pas aux enfants, par exemple.
Le texte détaille ensuite deux types particuliers de conduites commerciales déloyales : les pratiques "trompeuses" (message mensonger sur la qualité du produit, son prix ou ses risques, tromperie sur les symboles et labels professionnels...) et les pratiques "agressives" (harcèlement, contrainte et influence injustifiée..).
Harmonisation maximale = protection minimale ?
Outre ce dispositif d’harmonisation de la protection des consommateurs, la directive introduit des notions importantes, qui touchent aux entreprises. Parmi les bénéfices, la Commission européenne espère que la directive permettra de lever certaines barrières au commerce transfrontalier en levant les incertitudes juridiques qui dissuadent, selon elle, certaines petites sociétés désireuses de vendre à l’étranger. Ces obstacles seraient plus importants que les difficultés fiscales ou la barrière de la langue.
Avec la nouvelle directive, tout commerçant souhaitant vendre hors de ses frontières n’aurait qu’à se conformer à sa législation nationale pour être en règle partout dans l’UE. Cette disposition centrale est le pendant du fait que la directive applique le principe dit d’"harmonisation maximale", et énonce donc le niveau de protection le plus élevé. En effet, la Commission précise : "La directive interdit aux autres États membres d’imposer aux entreprises des exigences supplémentaires".
Pour le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc), qui fédère 36 organisations de consommateurs de 20 pays européens, ce dernier principe rend l’impact de la directive incertain.
"Nous avons toujours milité pour le principe d’harmonisation minimale au niveau européen, car il permet aux pays membres de protéger leurs consommateurs au-delà de ce que prévoit la directive, en tenant compte des particularités locales, par exemple", explique Victoria Villamar, conseillère juridique du Beuc.
"Nous sommes prudents quant au principe qui dit qu’une entreprise doit se conformer uniquement à sa législation nationale. Il y a un risque car un consommateur connaît mieux ses lois que celles du pays où l’entreprise est basée, précise Victoria Villamar. L’impact dépendra surtout de la clause générale et de la façon dont elle va être transposée dans le droit national de chaque pays."
Filet de sécurité
Le Beuc a lancé la semaine dernière une consultation auprès de ses associations membres pour évaluer si la clause générale de la directive, une fois transposée, serait plus avantageuse pour les consommateurs que celle en vigueur dans les états membres.
"L’harmonisation des lois sur les pratiques déloyales pourrait constituer une sorte de filet de sécurité pour les consommateurs, d’autant plus important que l’Europe va s’élargir à l’Est et passer à 25 membres", explique Victoria Villamar, dont l’organisation représente deux associations françaises, UFC-Que Choisir et CLCV (Consommation, logement et cadre de vie) Mais il faut pour cela que les associations pèsent pour infléchir le texte proposé par la Commission.
"Nous comptons avant tout essayer de faire ajouter des pratiques nouvelles dans la ’liste noire’ des méthodes reconnues comme déloyales partout en Europe, présentée en annexe de la directive. Si tout ce qui se pratique en Europe est versé dans un sac commun, alors les disparités nationales dans la clause générale auront moins d’importance et les consommateurs seront bien protégés", explique Victoria Villamar.
La proposition de directive va désormais être transmise au Parlement européen et au Conseil afin d’être adoptée. "Le texte pourrait entrer en vigueur début 2005", espère la Commission.