Mais pour le président de l’association Jiraf, se serrer la ceinture est un gage de créativité
Jadis présenté comme l’un des fleurons du dynamisme technologique hexagonal, avec ses stars et ses success stories, le jeu vidéo français n’en finit pas de sombrer dans le marasme. A tel point que le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, s’est personnellement impliqué en présentant, le 19 avril dernier au Futuroscope de Poitiers, un plan en dix points pour aider le secteur à sortir de la crise.
Les professionnels du jeu vidéo ont eux aussi décidé de réagir. A côté de l’Association des producteurs d’oeuvres multimédias (Apom), qui regroupe les studios de développement, s’est montée en avril 2003 l’association Jiraf (le Jeu vidéo et son industrie rassemblent leurs acteurs français). Si l’association n’est ouverte qu’aux professionnels (elle compterait à ce jour 166 adhérents), le site jiraf.org se veut un espace de débat et de dialogue avec le grand public. Surtout, Jiraf a entrepris cette semaine une opération de recensement des nombreux projets de création de jeux ou de sociétés liées à ce secteur. Car paradoxalement, la crise actuelle pourrait favoriser un regain de créativité chez les créateurs français. Explications de Nicolas Perret, 33 ans, programmeur chez Delphine Software et président de Jiraf.
Quelle est la situation sociale actuelle dans le jeu vidéo ?
Nicolas Perret : Aujourd’hui, l’ANPE est le plus gros employeur du secteur. Avec tous les dépôts de bilan qu’a connus le jeu vidéo, beaucoup de professionnels ont du mal à retrouver un emploi. Les boîtes préfèrent embaucher des gens sans grande expérience car ils coûtent moins cher. On assiste en moyenne à une baisse de 30 % du salaire d’embauche. Ceux qui ont de l’expérience font face à plusieurs choix : soit changer de secteur d’activité, soit s’expatrier aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou, plus rarement, au Japon. La dernière alternative, c’est d’essayer de se rassembler à plusieurs pour monter un projet, tout en pointant au chômage. Je pense que c’est l’une des solutions pour sauver le jeu vidéo en France.
En quoi cela le sauverait-il ?
Si ces projets aboutissent, les jeux qui sortiront seront sans doute plus pointus, plus novateurs. Quand on travaille dans son coin, la créativité connaît moins de contraintes. Il reste, bien sûr, le problème du matériel et la gestion de la masse de données nécessaire au jeu, qui ne peut pas être aussi importante que lorsqu’on bosse dans un studio de développement. Mais si, malgré tout, on parvient par ce biais à sortir un bon jeu, à forte jouabilité, c’est toute l’industrie française qui en profitera. Cela rétablira peut-être la confiance des éditeurs étrangers vis-à-vis des développeurs français. Ils reprochent souvent au jeu vidéo français sa faible jouabilité, ainsi que des problèmes de finition et de retard dans la livraison. Sans doute parce que nous n’avons pas su évoluer aussi vite qu’eux dans l’organisation du travail...
Jiraf.org vient de lancer une opération de référencement de ces projets en cours. Quel est son objectif ?
Nous cherchons à obtenir une photographie de la situation, alors qu’aujourd’hui tout est éparpillé dans la nature. En deux jours, nous avons déjà recensé 11 projets, mais il y en a beaucoup d’autres. Nous voulons déterminer la nature de ces projets - s’agit-il de jeux, de services ou d’outils ? -, la démarche de leurs créateurs - veulent-ils s’arrêter au stade de la préproduction ou développer un jeu complet, avant d’essayer de le vendre ? - ou encore leur besoin en financement. Je crois que ces données intéresseront tout le monde, à commencer par les éditeurs qui verront qu’il se passe quelque chose en France. Les porteurs de projets pourront aussi trouver de l’aide sur les forums par des échanges entre professionnels. A notre niveau, nous réfléchissons, en fonction des résultats que nous obtiendrons, à mettre en place un système d’aide personnalisée. Nous disposons de juristes au sein de l’association dont les conseils peuvent servir pour créer un dossier ou faire un montage financier.
Votre site est largement tourné vers le grand public. Pourquoi cette attention particulière ?
Le jeu vidéo souffre en France d’un problème de reconnaissance. Les professionnels du secteur sont encore vus comme des adolescents attardés qui passent leurs journées à jouer... Et puis il y toujours ce mythe de la violence. Ces idées reçues ont un impact très important sur les mentalités. A travers nos forums, nous voulons montrer au grand public ce qu’est vraiment le jeu vidéo, faire découvrir ses métiers, expliquer en quoi l’argent est nécessaire à la création. Contrairement au cinéma, peu de gens savent comment se crée un jeu. Aux Etats-Unis ou au Japon, il existe une culture plus grande du jeu vidéo. Les portes sont donc plus facilement ouvertes pour ceux qui veulent se lancer dans cette activité. Chez nous, il est aujourd’hui plus difficile de trouver de l’argent pour créer une boîte de jeux vidéo que dans n’importe quel autre secteur économique.