Jean-Christophe Le Toquin, 30 ans, défend les intérêts des fournisseurs d’accès à Internet (FAI). En tant que représentant, il s’est retrouvé au centre du débat sur le filtrage des sites.
« Ne pas être contre, ce n’est pas exactement la même chose qu’être pour. » Ce type de pirouettes vient naturellement à Jean-Christophe Le Toquin, qui en use à merveille pour mener à bien sa mission : négocier, trouver des compromis subtils. Depuis décembre 1997, ce juriste de 30 ans est délégué permanent de l’AFA, l’association professionnelle créée par les fournisseurs d’accès et de services internet. Employé alors par Havas, il avait été envoyé au casse-pipe négocier l’adhésion sans cotisation de sa société à l’AFA. « Un truc indéfendable », se rappelle-t-il en riant. Mais qu’il présente avec suffisamment d’habileté pour se faire embaucher par l’association.
Sa première tâche : mettre sur pied des contrats standard d’hébergement et de fourniture d’accès. La seconde : créer un « point de contact » avec les internautes, une page web de dialogue où clients et prestataires peuvent régler leurs problèmes. Depuis, son délégué s’est employé à faire de l’AFA un lobby influent dans un contexte de concurrence exacerbée. Où obtenir des sociétés un partage des informations s’avère difficile. Le Toquin pense y être parvenu en partie grâce à son « côté sympathique ». Peut-être ce sourire qu’il affiche en guise de préalable, au milieu d’une barbe qui cache mal un air encore juvénile. Sourire un peu fiévreux, doublé d’un humour cynique dans l’air du temps. Une façon comme une autre d’éviter la déstabilisation.
Lors de l’élaboration, en 1999, des amendements Bloche sur la responsabilité des hébergeurs, puis de la discussion, l’année suivante, du projet de loi sur la société de l’information, Le Toquin s’est retrouvé à la table du gouvernement face à des vieux briscards du lobbying : les représentants des sociétés d’auteurs. Là encore, il aura dû faire preuve de diplomatie et de ténacité. Plus embarrassante est l’action en justice menée en 2001 par l’association J’accuse ! contre treize fournisseurs d’accès et l’AFA. Mal à l’aise, Le Toquin se retrouve accusé de cautionner l’inacceptable, un portail néonazi dont J’accuse ! veut obtenir le blocage. Devenu père de famille au premier jour du procès, Jean-Christophe Le Toquin sortira de sa réserve au cours de l’audience : « Je préfère expliquer à mes enfants pourquoi des gens mettent des horreurs en ligne plutôt que de faire comme si elles n’existaient pas. »
Ses positions le rapprochent souvent des internautes militants pour la liberté d’expression. « Même si cela peut paraître un peu naïf, nos intérêts recoupent l’intérêt général », affirme-t-il. Comprendre : le refus des FAI de financer un filtre rejoint les préoccupations d’ordre démocratique. Il dit ne pas avoir eu à défendre de point de vue auquel il ne souscrivait pas, malgré sa formation d’avocat. Explication : il n’a jamais exercé, laissant sa carrière se tisser au gré des opportunités. Il évoque avec autodérision une vocation première de juge : « Enfant, j’avais écrit une centaine de lois, pour pallier des injustices du type : pourquoi les remorques paient le même prix que les caravanes sur l’autoroute ? » Le concours de magistrat lui semblera « trop difficile ». Soucieux des apparences, Le Toquin assume sa barbe au risque « de faire trop syndicaliste ». Se dit « consensuel mais pas naïf ». Ce fils de militaire trouve qu’il est plus difficile de dire « non » plutôt que « oui ». Heureusement, son job actuel lui fournit une parade toute faite : « Moi je propose. Mes employeurs disposent. »