Après plusieurs procès centrés uniquement sur la procédure, la cour d’appel de Paris cherchait à déterminer, mercredi 22 novembre, si les pages web de l’artiste Jean-Louis Costes sont réellement racistes.
L'avocat Thierry Lévy et son client Jean-Louis Costes.©E.Pansu/Transfert |
Atmosphère tendue, ce mercredi 22 novembre, à la 11e chambre de la cour d’appel de Paris. Les magistrats sont visiblement agacés par la masse des personnes venues soutenir Jean-Louis Costes. C’est que l’artiste va enfin être jugé sur le fond, après trois ans de procédures destinées à déterminer s’il est possible d’appliquer à son site internet le délai de prescription prévu dans les cas d’incitation à la haine raciale (lire
Le FN s’attaque aux archives en ligne). Trois ans à l’issue desquels des associations antiracistes et le parquet espèrent faire condamner Costes pour la publication en ligne des textes -jugés racistes- de certaines de ses chansons. Trois ans de trop pour Jean-Louis Costes qui voudrait que l’on reconnaisse sa liberté d’artiste.
La tension, pourtant, ne viendra pas des débats mais des accrocs de procédure. Le prévenu a droit à deux témoins, mais ceux-ci n’ont pas été "cités" formellement par l’avocat de l’artiste. Le juge manifeste son agacement. Suspension de séance. Et à la reprise, les deux tiers du public sont refoulés à l’entrée de la salle. Motif invoqué : la sécurité de l’audience. La salle est pourtant loin d’être comble. Protestations. On installe les chaises, prévues en cas d’affluence. L’avocat général passe ses nerfs sur les personnes venues écouter sagement les débats : "Ce n’est pas à vous de faire la police de l’audience !" Les gendarmes continueront leur blocus jusqu’à la fin des débats. "Il est interdit de fermer les yeux", ira jusqu’à rappeler un pandore à un jeune homme assoupi. On frôle le grotesque. "Lors du premier procès au tribunal de grande instance, tout le monde avait ri à la lecture des textes de Costes, ça avait désamorcé l’accusation et les magistrats ont dû vouloir éviter ça", avance un proche de l’artiste.
Raciste ou surréaliste ?
Le magistrat Alain Blanc relit les passages incriminés, issus du CD sorti en 1989 intitulé Livrez les blanches aux bicots. Une longue interrogation sur les pulsions racistes. "Les négros puent du cul", entame Alain Blanc en citant quelques lignes d’une chanson. "C’est une représentation, une fiction qui n’est pas plus vraie qu’une chanson d’amour", plaide Jean-Louis Costes, qui considère "illustrer le délire d’un paranoïaque". "Où se trouve la distance, ce fameux second degré qui prouverait que vous ne souscrivez pas aux paroles ?", interroge le conseiller Blanc. "La connotation surréaliste du texte, répond l’intéressé. D’ailleurs, je n’encourage pas les racistes. Sur la pochette de mon album, je me suis représenté me faisant enculer par un noir. Ça m’a valu des lettres d’insultes de racistes qui ne supportaient pas de voir leur fantasme mêlé à des connotations sexuelles."
Les témoins de la défense sont finalement entendus. L’un est juif, l’autre est noire. Tous deux viennent dire combien leur ami n’est pas raciste. "Le contexte de son œuvre, la musique même des chansons prouvent qu’il s’agit d’une parodie", dit la deuxième. Elle ajoute que "si on ne lit que les textes, les paroles sont dures à entendre". Défense maladroite... Pour l’avocat général, la question n’est pas de savoir si Jean-Louis Costes est raciste ou non. "L’intention délictuelle se déduit de la nature même des propos, à travers leur violence, leur brutalité, leur bestialité." Il mentionne un arrêt de cette même cour d’appel qui a condamné Patrick Sébastien pour avoir chanté "casser du noir" dans une émission de divertissement. "Vous ne condamnerez pas un artiste, mais quelqu’un qui a dérapé", lance le représentant du parquet en requérant un an de prison avec sursis.
Parties civiles en porte-à-faux
"Les parties civiles ont voulu faire du procès Costes celui du racisme sur Internet, glissait, avant l’audience, Valentin Lacambre, hébergeur du site costes.org (mais qui, pour une fois, n’est pas mis en cause dans l’affaire). Le problème, c’est que le seul site qu’elles pouvaient attaquer en France n’est pas un cas exemplaire." Quatre associations se sont constituées parties civiles : la LDH (Ligue des droits de l’homme), le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), l’UEJF (Union des étudiants juifs de France) et la LICRA (Ligue contre le racisme et l’antisémitisme). De fait, aucune d’entre elles ne cherche dans sa plaidoirie à prouver que Costes est un raciste notoire. "Quoique le fait qu’il dise traduire des pulsions enfouies en lui laisse penser qu’il a un problème", estime l’ avocat du MRAP. Quant au représentant de la LICRA, il s’offusque de sentir que l’on "tourne la responsabilité contre les associations en les accusant d’atteindre à la liberté d’expression". C’est sans doute pour éviter ce procès que les quatre associations se sont permis de juger trop sévère la peine d’emprisonnement requise par l’avocat général. Tout en suivant l’argument de celui-ci selon lequel les propos sont dangereux en eux-mêmes. Ils réclament des dommages intérêts.
Les limites de l’art
L’avocat de Jean-Louis Costes l’avait bien compris, la seule ligne de défense tenable consistait à démontrer que les propos en eux-mêmes ne constituaient pas une incitation à la haine raciale. Il rappellera tout de même que le même tribunal a tenu compte, dans une autre affaire, du contexte dans lequel des propos racistes avaient été tenus. Ce qui avait abouti à un non-lieu. Mais pour l’avocat, l’essentiel est dans le texte. Son rythme, l’outrance des propos et leur caractère obsessionnel. "L’anarchie des termes rompt le lien entre le mot et l’action", plaide-t-il. Puis faisant référence au pamphlet antisémite interdit de Louis-Ferdinand Céline : "On devrait autoriser la publication de Bagatelles pour un massacre car, comme là aussi, l’outrance ôte toute crédibilité à son discours raciste." Mais n’est-ce pas alors accorder un quitus à la publication de propos racistes à condition qu’ils soient extrêmes ?
Le dernier mot revient à Jean-Louis Costes : "Ce jugement pose les limites de l’art. Soit on considère que l’artiste peut exposer la réalité de façon brutale et sans message, soit on estime que l’art corrompt et doit se mettre au service de la politique du sage. Je m’accrocherai toujours à la première conception." Applaudissements dans la salle. Le président du tribunal proteste : "Ce n’est pas le lieu pour ça, d’autant que la position des parties civiles aurait, elle aussi, mérité des applaudissements." Jugement le 20 décembre.