"Je reste confiante dans les effets positifs que la directive entraînera" [Elly Plooij-Van Gorsel]
La brevetabilité des logiciels telle qu’envisagée par les Quinze n’effraie qu’à moitié l’eurodéputée
L’examen en séance plénière du Parlement européen du projet de directive sur la brevetabilité des logiciels n’aura finalement lieu qu’en septembre (Voir notre article). Partisans et adversaires du brevet logiciel disposent donc d’un répit de deux mois pour convaincre les eurodéputés.
Au sein même du Parlement, la confrontation est rude. D’un côté, Arlene McCarthy, membre du New Labour et rapporteur de la commission juridique. Proche des positions de l’Office européen des brevets (OEB), qui a déjà bréveté 30 000 logiciels en usant du terme "procédés techniques" pour contourner l’interdiction, la Britannique est une adversaire déclarée de toute limitation dans la brevetabilité.
Au fil des débats, elle a lutté pour que les amendements ne limitent pas trop le champ de ce que la directive appelle les "inventions mises en oeuvre par ordinateur". Face à elle, les opposants au principe de brevetabilité, dont le Français Michel Rocard, président de la commission Culture, tentent de faire restreindre cette définition floue, afin d’en exclure les logiciels.
Chargée de rapporter l’avis de la commission Industrie sur le sujet, la Néerlandaise Elly Plooij-Van Gorsel (Groupe du Parti européen des libéraux, démocrates et réformateurs) a présenté plusieurs amendements au texte d’Arlene McCarthy, dont la plupart ont été rejetés. Alors que l’issue des débats, de plus en plus techniques, demeure incertaine, cette eurodéputée "réticente" au principe de brevetabilité du logiciel revient sur son action et exprime, en termes diplomatiques, ses doutes et ses espoirs.
Sans parler de son issue, que pensez-vous de la qualité du débat qui a eu lieu au sein de la commission juridique ?
Elly Plooij-Van Gorsel : Il n’a peut-être pas été d’une qualité suffisante car il existe deux camps : celui des opposants à la directive et celui de ses partisans. Entre les deux, il n’y a personne ! En particulier, les opposants à la directive parlent constamment de "brevetabilité du logiciel" alors que la directive ne concerne pas la brevetabilité du logiciel mais la brevetabilité des "inventions mises en oeuvre par ordinateur". Ce n’est pas du tout la même chose !
Ces opposants craignent que le fait d’autoriser la brevetabilité des invention mises en oeuvre par ordinateur ne conduise mécaniquement à permettre la brevetabilité du logiciel...
Ce n’est tout simplement pas vrai. Bien que beaucoup de mes amendements visant à réduire le champ de la brevetabilité aient été rejetés par la commission juridique, le rapport final en limite les possibilités.
J’insiste sur le fait qu’a priori, rien de ce qui n’est pas brevetable aujourd’hui ne le deviendra après l’adoption de la directive adoptée.
Devant l’augmentation des demandes de brevet concernant des "inventions mises en oeuvre par ordinateur", nous avions besoin d’une législation harmonisée entre les différents états membres de l’Union européenne, de sorte que les mêmes règles s’appliquent partout. Et devant le comportement de l’Office européen des brevets (OEB), nous avions besoin d’une clarification et donc d’une directive.
J’ai été déçue de voir que mon amendement qui posait très clairement le principe que l’OEB ne pouvait être l’institution chargée de l’application de cette législation a été rejeté. Cela dit, un autre de mes amendements qui demandait que cette application de la législation européenne par l’OEB soit suivie par la Commission, principalement sous l’angle de la transparence et de la responsabilité, et rapportée au parlement, a lui été accepté.
L’un de vos amendements stipulait explicitement la non-brevetabilité du logiciel, mais il n’a pas été retenu. Vous dites que le texte actuel organise les mêmes précautions mais il est quand même moins clair...
Madame McCarthy est juriste, et sous son impulsion a été rédigé un texte très "technique" qui vise à prendre en compte tous les cas particuliers qui pourraient se manifester. J’avais une approche plus pratique, disant qu’il nous fallait un texte simple pour la bonne raison que l’industrie du secteur a besoin d’un texte clair pour pouvoir être efficace.
Mais quand je compare le libellé de mes amendements à celui des modifications introduites dans le rapport final d’Arlene McCarthy, je ne constate pas de différences importantes. En particulier, il a été rajouté très clairement la notion de "contribution à l’état de la technique" sans laquelle un brevet n’est pas considéré comme recevable.
Mme McCarthy était, dans l’ensemble, favorable à la brevetabilité du logiciel. Personnellement, j’étais beaucoup plus réticente. Mais, dans la mesure où il reste clair dans son texte final que le champ de la directive est strictement limité aux "inventions mises en oeuvre par ordinateur", je reste confiante dans les effets positifs que la directive entraînera.
Certes, l’état actuel du texte de la directive ne permet pas d’exclure totalement qu’elle permette d’étendre le champ de la brevetabilité au logiciel. D’un autre coté, des efforts ont été fait pour s’assurer qu’elle ne s’applique qu’à des cas qui ne soient pas ambigus.
Mes propres définitions me semblaient davantage de nature à limiter le champ de la brevetabilité mais je considère que le travail que nous avons accompli a produit des résultats bien plus satisfaisants que ce que la Commission européenne proposait au départ. Le résultat final n’est pas désastreux. Enfin, je l’espère...
Vous parlez d’enjeux économiques. Ne pensez-vous pas que l’examen de cette directive aurait dû être confié à la commission Industrie et regardée sous l’angle des enjeux industriels, plutôt qu’à la commission juridique ?
(Rires) Effectivement, de mon point de vue, on ne devrait jamais laisser la législation aux juristes ! Ce problème ne concerne d’ailleurs pas uniquement des textes à portée économique : ils veulent légiférer pour 100% des cas, alors que le faire pour 90% des cas suffirait. C’est comme ça qu’on aboutit à des textes illisibles par le commun des mortels.
A la fin du rapport McCarthy il est mentionné la possible création d’un "réseau de soutien aux PME" qui n’ont pas les moyens d’avoir accès à la protection par brevet. Cette mesure ne devrait-elle pas précéder la mise en place de la directive une fois votée ? 80% du secteur est composé de PME et de développeurs indépendants qui n’auront jamais les moyens d’affronter ce nouvel environnement juridico-économique...
Arlene McCarthy le mentionne elle-même dans son rapport : personne en Europe ne peut vouloir la disparition des petits développeurs. Pas même les grandes sociétés qui sont dépendantes de leur créativité.
Il a donc été décidé dans le rapport final de demander à la Commission européenne de garder le secteur sous observation après le vote de la directive, et de faire rapport au Parlement, en particulier concernant l’impact de la directive sur les PME. C’est un aspect que nous comptons suivre de près.
Mon impression est que toute l’agitation faite auprès du Parlement par les PME et les développeurs indépendants lors de l’examen de la directive repose principalement sur le fait qu’aucun d’entre eux n’a jamais lu mon rapport ou celui d’Arlène McCarthy.
J’ai assisté aux auditions et tous les représentants du secteur me sont tombés dessus alors que j’étais de leur côté ! Je n’ai jamais été attaquée verbalement aussi violemment dans mon propre bureau que par certains représentants des PME de l’industrie du logiciel !