Avec l’effondrement du cours boursier d’Intershop, c’est peut-être le rêve américain d’un Allemand de l’Est qui s’effondre. Surtout, la "nouvelle économie" allemande s’enfonce toujours plus dans une crise de confiance.
Plus d’un milliard de marks. Il y a encore un an, c’était la valeur des 12% que Stefan Schambach détient en propre dans le capital d’Intershop, sa propre entreprise. Une société spécialisée dans la création de logiciels pour le commerce électronique. Pourtant, depuis mardi 2 janvier, celui que l’on surnomme le "petit prince de l’Internet" a cessé d’être le plus jeune milliardaire de la nouvelle économie allemande. Le cours de l’action Intershop a en effet perdu 70% de sa valeur en une journée et le portefeuille de Stefan Schambach ne pèse plus "que" 200 millions de marks.
Véritable gifle
Cet effondrement vertigineux du cours boursier d’une des valeurs modèles de la nouvelle économie allemande est la réponse des investisseurs à l’annonce inattendue de mauvais résultats financiers pour l’année 2000. Au lieu des 40 à 50 millions d’euros de chiffre d’affaires attendus pour le dernier trimestre 2000, Intershop prévoit en effet de réaliser un CA de 28 à 30 millions d’euros. Sur l’ensemble de l’année, l’entreprise escompte ainsi un CA de 121 millions d’euros (au lieu de 140 à 150 millions) et des pertes de 37 millions d’euros. Cette annonce constitue d’abord une véritable gifle pour la plupart des analystes financiers outre-Rhin. En effet, après une année noire pour le Neuer Markt (l’index boursier du marché allemand pour les valeurs technologiques est passé de plus de 8 000 points en début d’année à environ 2 500 points à la fin 2000), ceux-ci avaient déjà prédit une embellie de la situation. Et nombreux étaient ceux qui, il y a encore quelques jours, conseillaient d’acheter l’action Intershop. La déroute de cette société est donc un coup dur supplémentaire porté à la nouvelle économie allemande. Mais c’est aussi la fin d’une success story qui collait si bien avec l’image d’une Allemagne réunifiée ayant réussi sa mue économique et son adaptation à la mondialisation.
Héros de la nouvelle économie
À 30 ans, Stefan Schambach n’est pas seulement l’Allemand qui a réussi dans le secteur de l’Internet en installant sa société en Californie et en la faisant coter au Nasdaq, le grand frère new-yorkais du Neuer Markt. Il est également originaire de Jena dans les nouveaux Länder de l’Est et donc un "ossi" (un Allemand de l’Est) qui a réussi un parcours sans faute dans la société capitaliste. Au lendemain de la chute du mur de Berlin, celui-ci abandonne ses études de physique. Avec quelques amis informaticiens, il décide de s’attaquer à l’Internet. Ensemble, ils développent avec succès un logiciel de gestion des magasins en ligne. À 22 ans, il crée Intershop. Pour les Allemands, un nom aussi symbolique qu’ironique puisque c’était celui de la chaîne des magasins d’...tat est-allemands destinés aux touristes de l’Ouest. En 1998, la société est introduite au Neuer Markt. Un an et demi plus tard, la valeur boursière de l’entreprise est supérieure à celle de la Lufthansa, la principale compagnie aérienne allemande. Les logiciels d’Intershop sont aujourd’hui utilisés par des clients prestigieux tels que Sony, Deutsche Telekom, Alta Vista, Mercedes-Benz, la chaîne britannique de magasins de luxe Harrod’s ou encore l’enseigne française des supermarchés Casino. Il n’en fallait pas plus pour que les médias allemands, mais aussi étrangers, ne transforment Stefan Schambach en héros de la nouvelle économie allemande.
Crise de confiance
L’histoire de son fondateur et les perspectives d’avenir du e-commerce, ont largement contribué à ce qu’Intershop bénéficie d’une confiance exceptionnelle auprès des investisseurs. Que l’entreprise, comme beaucoup d’autres de ses concurrentes actives dans le secteur de l’Internet, n’ait jamais réalisé de bénéfices n’était que secondaire. Du moins tant que les perspectives de croissance persistaient. Mais le ralentissement de la conjoncture aux ...tats-Unis est venu tout gâcher. Selon les responsables d’Intershop, leurs mauvaises performances de l’entreprise sont principalement liées à la décision des entreprises américaines de limiter ou de reporter aux années prochaines leurs investissements dans le domaine du commerce électronique. Intershop table néanmoins sur le lancement prochain d’Enfinity 2, un nouveau logiciel pour se rétablir rapidement, notamment sur les marchés européens.
Un récent sondage de la banque d’investissements Morgan Stanley Dean Witter, réalisé auprès de 400 grandes entreprises européennes, vient cependant tempérer l’optimisme des dirigeants d’Intershop. Ainsi, un tiers des entreprises interrogées ont, elles aussi, prévu de limiter ou de réduire leurs investissements dans le domaine du e-commerce. Soit deux fois plus qu’il y a six mois. Avec des investisseurs toujours plus méfiants, la crise de croissance de la nouvelle économie risque fort de se prolonger. Et Intershop devra probablement attendre au moins 2002 avant d’enregistrer, peut-être, les premiers bénéfices de son histoire.