Un journaliste américain publie un livre selon lequel IBM aurait fourni des moyens informatiques ayant aidé l’Allemagne nazie à exterminer les juifs. Cinq anciens déportés assignent le géant américain en justice pour les mêmes raisons.
 ©Montage: PP/TRANSFERT |
IBM
et l’holocauste : réactions allemandes
|
La polémique
qui entoure la publication du livre d’Edwin Black n’a mobilisé,
pour l’instant, que modérément la presse allemande. Seul
le numéro de lundi du magazine Der Spiegel y consacre neuf
pages et publie des extraits de l’ouvrage en rappelant que si les faits
sont globalement connus, jamais le rôle de la maison mère américaine
d’IBM dans le fichage des citoyens allemands d’origine juive et,
plus tard, dans l’accomplissement de la solution finale, n’avait
été aussi clairement souligné. Pour l’instant,
IBM Deutschland se tient à couvert : "Nous n’avions
aucun contrôle sur ce que la filiale d’IBM (Dehomag) a fait pendant
la guerre", s’est contenté de déclarer Thomas
Mickeleit, le porte-parole d’IBM Deutschland.
Pour le reste, la plupart des quotidiens commentent de manière retenue
une affaire encore considérée comme essentiellement américaine.
En revanche, les commentateurs allemands attirent l’attention sur un
autre problème posé par la plainte déposée vendredi
dernier à New York par cinq survivants de l’holocauste, celui
du dédommagement des "travailleurs forcés"
sous le nazisme. En effet, depuis plus de deux ans, les représentants
des victimes, les gouvernements américain et allemand et les représentants
de l’économie allemande s’efforcent de régler les
modalités de dédommagement des travailleurs forcés
encore en vie. Après de longues tractations, un accord a été
signé dans le courant de l’année dernière. En
conséquence de quoi, les entreprises allemandes et le gouvernement
fédéral ont créé un fonds de dédommagement
de 10 milliards de marks ( près de 40 milliards de francs)
financé à parité. En échange, les associations
de victimes s’engagent à retirer leurs plaintes collectives
et le gouvernement américain à inciter les tribunaux US à
débouter les futures plaintes individuelles contre les entreprises
allemandes. Pour ces dernières, cette sécurité juridique
est la condition sine quae non pour verser leur écot au fonds de
dédommagement. Pour sa part, IBM Deutschland s’est engagé
dans le fonds à hauteur de 3 millions de dollars ( près
de 320 millions de francs). Mais la plainte déposée ces
derniers jours à New York contre la maison mère américaine
pourrait inquiéter la filiale allemande. Ceci risque donc de remettre
en cause la sécurité juridique exigée par les entreprises
allemandes. Résultat : cette nouvelle promesse de procès
pourrait bien faire repousser, une fois de plus, les premiers paiements
aux survivants, prévus en mai 2001 (Thomas Schnee)
|
Le géant américain IBM a-t-il fourni aux nazis, durant la dernière guerre mondiale, les moyens informatiques ayant servi à mettre en œuvre la solution finale ? Cette thèse est défendue par l’auteur de
IBM et l’holocauste (1), un livre dont la publication a été orchestrée avec un bel ensemble, dans dix pays, dont les ...tats-Unis et la France, lundi 12 février. Dans le même temps, un cabinet d’avocats de Washington faisait savoir qu’il avait déposé, vendredi 9 février, une plainte collective contre la firme devant la cour fédérale de New York, au nom de cinq anciens déportés : deux américains, deux tchèques et un ukrainien.
Une plainte de 47 pages
L’argumentation de la plainte repose sur quatre motifs : "1 - IBM a mis en œuvre, aidé, assisté et/ou consciemment participé à la commission d’un crime contre l’ humanité ; 2 - Le rôle de contrôle d’IBM USA sur IBM Allemagne et sur ses autres filiales européennes ; 3 - IBM USA a tiré bénéfice de l’oppression du Reich ; 4 - IBM USA a frauduleusement caché son rôle dans l’holocauste."
Les avocats ont fait les choses en grand : publication de la plainte (47 pages sur leur site), communiqué de presse et mobilisation de deux numéros d’appel d’un call-center, de 10 à 11 heures du matin (heure de Washington) pour répondre aux journalistes.
La thèse de l’auteur du livre, le journaliste Edwin Black, était déjà connue des historiens, sinon illustrée. On en trouve ainsi la trace sur le site du Washington Jewish Week, en 1998, sous le titre "le rôle d’IBM dans l’holocauste".
Par le biais de sa filiale Dehomag, IBM a fourni à l’Allemagne nazie des machines mécanograpiques Hollerith à cartes perforées, utilisées lors des recensements de 1933 et 1939. Elles auraient notamment servi à repérer les juifs dans la population, et servi à la " gestion " des camps de concentration.
IBM Allemagne a prévenu ses employés
La publication du livre suscite déjà des réactions. Selon l’agence Associated Press, IBM Allemagne avait prévenu ses employés de l’imminence de la sortie d’un ouvrage mettant en cause l’activité de la société sous le régime nazi.
En France, le journal Le Monde publie, dans son édition datée de mardi 13 février, les points de vue sur l’ouvrage d’une historienne, Annette Wieviorka, et du démographe Hervé Le Bras. Sous le titre "Un beau sujet gâché", la première met en cause, sans nier la réalité du sujet, le manque de rigueur scientifique de l’auteur. Tout en appelant IBM à ouvrir, enfin, ses archives aux chercheurs. De son côté, Hervé Le Bras émet une série de réserves sur les conséquences de l’utilisation des machines IBM dans le dénombrement des juifs lors des recensements allemands. "Une illusion technique" titre l’article. Qui reconnaît néanmoins la puissante aide de la technologie informatique balbutiante dans l’organisation de la production industrielle, de la circulation des trains, "y compris ceux qui gagnaient Auschwitz".
(1) Publié en France par Robert Laffont
Le texte de la plainte déposée contre IBM, sur le site des avocats américains:
http://www.cmht.com
L’affaire IBM sur le site du
Washington Jewish Week
http://hometown.aol.com/merryeee/ib...
Des extraits du livre d’Edwin Black sur le site du
Sunday Times (en anglais):
http://www.sunday-times.co.uk/news/...
Cliché de la machine Hollerith sur le site du Musée américain de l’holocauste:
http://www.ushmm.org/archives/pop2.htm