Veille de guerre, jeudi, à Gênes où débute le sommet du G8 : 150 000 militants antimondialisation vont manifester, pendant trois jours, dans la ville assiégée par les forces de police. Au de-là de la paranoïa qui les a saisi, les deux camps se battent pour leur image médiatique. Et leur combat passe par Internet. De notre envoyé spécial, Alexandre Piquard.
Gênes retrouve son destin de citadelle assiégée. Depuis plusieurs semaines, les autorités se sont appliquées à la barricader contre les "envahisseurs", ces militants antimondialisation qui ont convergé vers la ville. Ils protesteront contre la tenue du sommet du G8, qui réunira chefs d’...tats et de gouvernements des sept pays les plus riches du monde plus la Russie, les 20 et 21 juillet. Dès jeudi 19 juillet, l’escalade de la paranoïa entre les deux camps a atteint des sommets. Dans le ciel, des hélicos qui tournent au-dessus de la ville. Aux fenêtres, du linge qui sèche... Serait-ce en signe de défi à Berlusconi qui a, paraît-il, et pour faire plus propre, enjoint ses concitoyens à ne pas accrocher de draps aux balcons ? C’est, en tout cas, ce que semblent penser des forces de police armées jusqu’aux dents et fortement ancrées dans la terreur de l’opposant casseur et terroriste.
Il faut dire que le rendez-vous de Gênes vient après le Sommet des Amériques qui s’est tenu, à Québec, du 20 au 22 avril 2001 ; après la réunion du FMI (Fonds monétaire international), à Göteborg, en Suède, du 15 au 16 juin et celle de la Banque mondiale, prévue à Barcelone, le 25 juin. À Québec, de nombreux manifestants et des policiers avaient été sérieusement blessés. À Göteborg, la police a fait un mort en tirant à balles réelles dans la foule. À Barcelone, les organisateurs ont tout simplement annulé la manifestation prétextant que le risque de débordements de la part des "anti" était trop grand.
Dispositif de sécurité hallucinant
Alors, à Gênes, la sécurité a été prise très au sérieux. Depuis Seattle, on n’avait pas vu ça : le gouvernement a instauré une zone rouge inaccessible de 4 kilomètres carrés, ceinte de grilles métalliques de 4 mètres de haut : elle devra servir de zone tampon autour du palais Ducale (dans lequel se tiendront les discussions du G8) et du port, dans lequel sera arrimé le bateau où seront hébergés les participants. Avec 12 000 policiers et 4 700 militaires, la mobilisation des forces de l’ordre est telle que les Italiens, espiègles, jurent que ces trois jours sont une aubaine pour tous les cambrioleurs du pays.
Pour empêcher les manifestants de se rendre sur place, l’accès à la ville et au pays ont été sévèrement restreints, à commencer par la fermeture de l’aéroport, des deux gares centrales, et du port. Les accords de Schengen, qui garantissent la libre circulation des personnes dans l’Union européenne, ont été exceptionnellement suspendus pour permettre aux douaniers de mener contrôles d’identité et fouilles, afin de refouler le maximum d’entrants. La collaboration des services de police, qui ont échangé leurs fichiers de renseignements sur les activistes au niveau européen, rappelle le dispositif anti-hooligan de la Coupe du monde de football. Le point d’orgue est venu avec l’installation d’un dispositif anti-missile au-dessus du bâtiment qui abritera l’organisation du sommet et la confirmation par la CIA (Central Intelligence Agency) du brouillage des communications par téléphones mobiles, officiellement pour prévenir d’éventuelles bombes utilisant un mobile comme déclencheur.
Mobilisation des opposants
Mais les cars des manifestants ont, malgré tout, traversé les frontières. Et, sur place, ils s’installent peu à peu. Face à ce déploiement policier inédit, ils sont en train de monter leur propre arsenal. Grâce au réseau déjà bien rôdé au cours des "batailles" de Québec, de Göteborg et de Barcelone ; mais, aussi et surtout, après celles de Seattle (décembre 1999), de Davos (janvier 2000), de Washington (avril 2000), de Millau (juin 2000), de Philadelphie (août 2000), de Prague (septembre 2000), de Nice (décembre 2000), et de Davos-Porto Allegre (janvier 2001), ils savent s’organiser. Ils enfilent la panoplie désormais traditionnelle : des tenues renforcées de matelas en mousse contre les coups, des lunettes de plongée contre les gaz lacrymogènes... Et, pour coordonner la nébuleuse d’organisations venues du monde entier et en faire une machine efficace, ils vont, bien sûr, utiliser Internet : des centaines de sites, mailing-lists et des forums permettront de mobiliser les troupes, d’échanger et d’informer à peu de frais. On parle aussi d’une utilisation intensive des SMS pour garantir une plus grande mobilité aux manifestants. Pendant trois jours, des dizaines de débats seront organisés en groupes de travail ou en séance plénière, pour construire une alternative à la mondialisation qu’ils combattent. Du monde entier, militants et spécialistes réfléchiront ensemble à l’avenir du mouvement, autour de questions comme : Quels espaces publics pour le savoir ? Quels mécanismes pour une démocratie globale ? Qui souhaite la libéralisation des marchés ? Comment régler la dette écologique et économique du Nord envers le Sud ?
"Bienvenue à ceux qui désobéissent"
Le déroulement concret des actions directes du contre-sommet a été prévu de longue date. Jeudi : installation et mini manifestations sur le thème de la liberté de circulation. Vendredi : blocage pacifique du sommet. Samedi : manif unitaire de tous les opposants.
Jeudi, en fin de journée, tout semblait se dérouler comme prévu. En réponse aux restrictions mises en place par les organisateurs et le gouvernement Berlusconi, des mini manifestations regroupaient quelques opposants déjà installés et une poignée d’immigrés illégaux italiens. Les Sans papiers français ne semblaient avoir pu faire le déplacement. Les cortèges se voulaient totalement non violents, en raison du risque que couraient les illégaux ; en cas d’action de la police et de contrôle de papiers.
De leur côté, d’autres groupes préparaient la journée de vendredi, consacrée au "blocage pacifique" du sommet. Cette action sera menée, entre autres, par les Tute Bianche (les Tuniques blanches). Les 700 membres de ce collectif, vêtus de salopettes blanches, émane du mouvement des "centres sociaux", une tradition de squats autogérés politiques et culturels, proches de l’extrême gauche. Ils sont, pour l’heure, installés dans le stade Carlini où se déploie une immense banderole marquée de "Bienvenue à ceux qui désobéissent". Ils seront rejoints par les anglais "wombles", disciples de l’action directe humoristique, et les français de Aarrgg ! Tous ces "désobéissants", comme ils ont choisi de se baptiser, opposeront l’humour à la force pour tenter de franchir les barrières de police. Selon ce qu’ils nomment "frivolité tactique", "lutte festive" ou "non-violence active", ils tenteront de forcer les barrages avec un cortège de militants sans aucune arme ni protection, en hurlant des slogans humoristiques. Et Marco Beltrami, membre des Tute Bianche, sourit : "Puisque le G8 se considère comme un château médiéval et a transformé cette ville en citadelle assiégée, nous allons, nous aussi, utiliser des armes d’un autre temps." Il n’en dira pas plus mais l’on parle de catapultes envoyant du poisson pourri et de la peinture sur les forces de l’ordre, de béliers de carton pâte pour enfoncer les barrières et de filets pour prendre, doucement, au piège les policiers... Les autres manifestants pourront se ranger, par "groupes d’affinité", dans des sections moins radicales. La ligne officielle veut, de toute façon, que les actions ne mettent en danger ni les biens ni les personnes et ridiculise l’arsenal répressif du G8.
L’enjeu médiatique est, bien sûr, central et chaque camp soigne son image. Pour contourner les grands médias, les "anti" disposent de leur propre "agence de presse indépendante", choisir le sien).