Ce juriste américain dénonce le bradage des ressources naturelles au profit des industriels
La philosophie du président américain George W. Bush sur les questions environnementales ressemble fort à celle de sa politique étrangère : frapper fort en étant sûr de son bon droit, imposer sa vision en passant outre les critiques.
Le président américain ne refuse pas simplement, comme son prédécesseur, de signer le protocole de Kyoto de 1997 sur les émissions de gaz à effet de serre. Alors que les Etats-Unis sont responsables du quart de ces émissions, George Bush conteste aujourd’hui la réalité même du réchauffement climatique, en s’appuyant sur des études partisanes téléguidées par les milieux conservateurs (Lire notre article). Peu importe si cette attitude sape la prise de conscience mondiale de l’urgence de la situation...
Au plan national, la politique environnementale du gouvernement Bush s’est avant tout traduite par un assouplissement des mesures de protection des ressources naturelles. Un dossier très complet du magazine américain Mother Jones détaille comment le Clean Water Act de 1977 ou le Clean Air Act de 1990 ont été vidés de certaines dispositions, jugées trop contraignantes par les industriels. Mother Jones explique aussi pourquoi l’EPA (Environmental Protection Agency) a, en deux ans, réduit des deux tiers le nombre d’amendes infligées pour pollution et d’un tiers le nombre d’actions en justice.
L’un des exemples les plus caricaturaux de cette politique concerne l’Arctic National Wildlife Refuge (ANWR), une réserve naturelle située en Alaska. Sous la pression des compagnies pétrolières, le gouvernement Bush cherche depuis 2001 à autoriser le forage dans la plaine côtière de cette réserve. Or, le terrain pétrolifère convoité est aussi un lieu de chasse et de reproduction pour nombre d’espèces sauvages : caribous, ours polaires, loups, oies des neiges... Si la Chambre des représentants a voté pour l’ouverture de cette zone au forage pétrolier, le Sénat l’a rejetée de justesse en mars dernier. Mais l’équipe Bush maintient la pression. En août dernier, dans une lettre adressée aux parlementaires américains quelques jours seulement après le blackout qui a frappé le nord-est du pays, le secrétaire à l’Energie, Spencer Abraham, expliquait : "Le gouvernement estime que le Congrès devrait examiner les faits, et non la rhétorique, concernant la meilleure perspective de réserve pétrolière terrestre du pays que représente cette petite portion de la plaine côtière de l’ANWR."
Face à cet activisme gouvernemental, il ne reste souvent aux défenseurs de l’environnement que la voie judiciaire, longue et incertaine. C’est pour les assister dans ces démarches qu’a été créé en 1971 Earthjustice, un cabinet juridique à but non lucratif, spécialisé dans le droit de l’environnement. Son directeur exécutif, Vawter "Buck" Parker, revient sur deux ans et demi de gouvernement Bush.
Dans le magazine Mother Jones, vous dites "qu’à côté du gouvernement Bush, celui de Ronald Reagan a l’air d’un innocent". Pourquoi ?
Buck Parker : Les attaques de l’administration Bush contre l’environnement sont réellement systématiques. Alors que les problèmes r encontrés par l’équipe Reagan dans la défense de l’environnement pouvaient être pris pour des préjugés ou de l’ignorance, le gouvernement Bush fait preuve de méchanceté. Dès le premier jour de son entrée en fonction, ils ont gelé toutes les mesures législatives qui avaient été adoptées dans les dernières semaines du gouvernement Clinton. Les défenseurs de l’environnement ont aussi eu des problèmes avec Clinton mais, en fin de mandat, il a pris une série de lois importantes, comme la National Forest Roadless Rule (protégeant les zones forestières non encore exploitées) et il a proposé de placer près d’une douzaine de zones naturelles sous le label "Protection de la vie sauvage" (la plus forte classification américaine en la matière, ndlr). Toutes ces actions ont été sapées dès l’entrée en fonction de Bush.
En quoi les attaques contre l’environnement et sa protection légale sont-elles plus brutales qu’il y a 20 ans ?
Le gouvernement Bush a mis au point une stratégie que nous appelons "poursuivre et négocier". Ils encouragent leurs amis dans l’industrie et dans les activités d’extraction (bois, mines, pétrole et gaz) à attaquer l’Etat en justice à propos des lois auxquelles ils refusent de se soumettre. Le gouvernement discute alors secrètement avec ces industriels, souvent sans que les agences de protection de l’environnement ou les associations soient représentées, et négocie un accord qui autorise plus de pollution ou le bradage des ressources naturelles : nos forêts, notre air pur, nos eaux propres, etc. "Poursuivre et négocier" est un moyen anti-démocratique et très efficace d’éviter que le public ait son mot à dire en matière de ressources écologiques.
En tant que cabinet juridique, que pouvez-vous faire face au démantèlement du cadre légal de protection de l’environnement ?
Pas mal de juges dans les tribunaux américains restent convaincus que le public a le droit de protéger nos ressources écologiques. Earthjustice aide souvent des communautés locales et des associations écologistes à forcer le gouvernement Bush à respecter la loi. Il existe des lois très précieuses qui peuvent et doivent être appliquées. Bizarrement, les meilleures lois ont été passées sous la présidence Nixon. Pas vraiment un écologiste radical, mais un homme qui croyait sincèrement qu’être conservateur signifiait conserver ce qui reste du monde naturel.
Que pouvez-vous faire si le gouvernement Bush, l’allié de vos adversaires, change sans cesse les règles du jeu ?
Bien qu’Earthjustice soit une organisation non-politique, nous ne serions pas tristes si un nouveau président gagnait les prochaines élections. Nous avons perdu tout espoir de voir sortir quelque chose de bon du gouvernement Bush. La démission, en juin dernier, de la modérée Christy Whitman de son poste d’administratrice de l’Agence fédérale de protection de l’environnement (EPA) en est la dernière illustration. Elle était la seule voix de la raison de cette administration. On l’a poussée dehors parce qu’elle avait osé dénoncer les abus les plus flagrants commis par les amis industriels de la Maison blanche.
Nous serions satisfaits avec n’importe quel autre président, même Républicain, à partir du moment où il a vraiment à coeur de protéger l’environnement et pas seulement les profits des entreprises.
Earthjustice a-t-il travaillé sur des cas précis où l’action du gouvernement Bush a été décisive ?
Depuis des années, les organisations écologistes poursuivent l’Etat en justice pour qu’il réduise la circulation des motoneiges en hiver dans le parc national de Yellowstone. Ces véhicules produisent une forte pollution atmosphérique, perturbent la faune et la flore et empêchent de profiter de la tranquillité du parc naturel. Le gouvernement Clinton rejoignait les organisations écologistes sur le fait que les parcs nationaux ne devraient pas constituer le terrain de jeu d’individus utilisant des engins polluants. Des mesures raisonnables ont été avancées pour limiter le nombre de motoneiges autorisées dans le parc à chaque saison. Mais le gouvernement Bush détestait cette idée et a préféré soutenir l’industrie des motoneiges. Quand les restrictions proposées ont été soumises au vote du Parlement fédéral l’année dernière, la Chambre des représentants, qui est la plus conservatrice, a rejeté toute idée de limitation concernant l’utilisation des motoneiges, et a voté ce que le gouvernement Bush exigeait...