Yahoo ! doit donc mettre en place des logiciels de filtrage. Les pages avec mise aux enchères d’objets nazis doivent être interdites, a priori, aux internautes français de l’Hexagone. C’est AOL qui va être content. Car cette décision du juge ne s’appliquera pas aux abonnés du géant américain. Ceux-ci, même s’ils résident en France, disposent d’une adresse aol.com, reconnue par les ordinateurs comme une adresse... américaine. Cela fait du monde, encore plus après le succès de l’offre forfaitaire (suspendue aujourd’hui) à 99 francs par mois téléphone compris, en illimité.
Mais dépassons l’anecdote comme l’aspect moral de cette affaire. Oublions qu’il s’agit d’objets nazis. Et réfléchissons juste au message transmis ici : la technologie permet de bloquer l’accès à des sites selon le critère de la nationalité.
C’est important. Maintenant, voyons si la Chine va demander à tous les organes de presse du monde de bien vouloir bloquer l’accès à leur site aux ressortissants chinois : c’est de l’information non autorisée, et donc illégale, en Chine. Si M. Kabila va exercer une requête équivalente vers les médias français et belges. Si les autorités birmanes oseront écrire à tous les sites parlant de leur opposition politique interdite. Pour mieux l’interdire encore aux Birmans. Si le gouvernement chilien pensera à demander à la plupart des pays de bien vouloir filtrer ses nationaux vers tous sites parlant de divorce ou, bien sûr, d’avortement : interdit au Chili. Bref, si tout le monde va penser à l’utilisation qu’il va pouvoir faire de cette nouvelle...
Vous allez me dire : "Quand même, ce n’est pas la même chose, il s’agit d’objets nazis !" Tout à fait. Et il est odieux qu’on en fasse un commerce. Odieux qu’on les exhibe glorieusement. En France, c’est interdit. Pas aux ...tats-Unis. C’est important aussi de le savoir : ces objets sont, pour certaines personnes, aux ...tats-Unis comme ailleurs, des sources de gloire. Faut-il ignorer que ces personnes existent (et c’est ce qui se passera si on ne les voit plus) ou faut-il les affronter, les combattre ? Faut-il jouer à l’autruche ou se trouver confronté régulièrement à la vérité du monde ? La confrontation paraît toujours meilleure que la fuite quand il s’agit de conviction. "Ils ont préféré le déshonneur à la guerre, ils auront la guerre et le déshonneur", disait Churchill après les accords de Munich. Aujourd’hui, parce que la loi française l’interdit sur notre territoire, on a décidé de faire croire que cela n’existait pas ailleurs. Fermons y l’accès et cela n’existera plus.
Est-ce la meilleure solution ? La loi française le dit. Cela mérite débat. Car ignorer leur existence ne va pas empêcher les nazillons d’exister. Il aurait peut-être été important, par exemple, que les internautes français écrivent en masse à Yahoo ! pour signifier leur mécontentement. Pour la société américaine, c’est un langage qui parle plus encore.
Yahoo ! a trois mois pour obtempérer. Une partie des Français, dans trois mois, sera donc, peut-être, protégée de cette vision : il y a des nazis aux ...tats-Unis, actuellement. Mais si on décide d’aller plus loin et de faire appliquer cette jurisprudence sur tous les points où le principe constitutionnel de Free Speech bouscule les lois françaises sur les points graves (le nazisme, le révisionnisme, etc.) ou simplement importants (la publicité sur les tabacs et l’alcool, l’injure publique, la présentation de personnes menottées, l’atteinte à l’image, etc.), les Français vont pouvoir vivre dans un monde que les Américains, encore eux, connaissent bien : Disneyland ! À part, bien sûr, les abonnés d’AOL...