Après une semaine d’expérimentation, les Rencontres européennes de la jeune création numérique s’achèvent ce soir, à Valenciennes, par une improvisation mêlant numérique et arts du spectacle.
Karine Portrait |
Ils répètent. Derrière une dizaine d’écrans d’ordinateurs. Avec des fils qui traînent partout, des webcams qui vous fixent et, au milieu, comme un trône, un mannequin bourré de capteurs. Une lumière bizarre : pas d’ampoules au plafond mais deux puissants projecteurs tournés vers le mur. Lorsqu’on passe entre ces faisceaux, d’immenses ombres se baladent derrière. Géants noirs presque inquiétants.
Nous sommes dans un workshop, on peut dire aussi atelier. Pendant une semaine, la plasticienne Sally Jane Norman y a fait travailler de jeunes artistes issus d’univers complètement différents. Plasticiens, marionnettistes, dessinateurs ou musiciens. Pour les amener à expérimenter, à prolonger leur pratique dans et par le numérique. Une semaine de travail qui s’achève vendredi soir par une démonstration en clôture des Rencontres européennes de la jeune création numérique à Valenciennes.
Sally Jane Norman (à gauche)Karine Portrait |
L’équipe niche au 4e étage du Phénix, la scène nationale de la ville du Nord. Ils y ont aligné les macs et les instruments high-tech, les échasses et les boules de jonglage. Joli mélange. Ils sont une quinzaine, plutôt jeunes, à mélanger le français et l’anglais pour se comprendre. À vivre en quasi reclus. Mangeant, dormant, travaillant dans les coulisses du théâtre. Quelques minutes, Sally se pose, s’adosse et raconte un peu de cette expérience : "
Je viens du théâtre, donc du corps et j’y reste très attaché. Mais j’estime que le corps doit prendre sa place dans les nouvelles technologies. Pour y apporter sa poésie." Elle a une voix douce, ferme aussi. Le visage très pâle, des cheveux blonds coupés courts et un blouson en cuir qui lui donnent un air de punkette sortie des années 80. Directrice de l’...cole de l’image d’Angoulême, Sally Jane Norman s’adonne, depuis quelques années, à ce qu’elle appelle "
des situations d’expérimentations gestuelles impliquant les nouvelles technologies". Pour ce stage, le troisième de ce type qu’elle dirige, elle a puisé dans le réseau des écoles d’art et d’image et construit une équipe la plus diverse possible. "
J’avais envie de personnes d’un haut niveau artistique, ouverts sur le numérique et prêts à prendre des risques."
Un canard jaune qui bouge son derrière...
"Sur l’écran, mon geste va activer la couleur, la forme et le son. Karine Portrait |
Avant de débarquer à Valenciennes, chaque stagiaire devait choisir un objet et le faire évoluer sur quatre mètres. Julien a amené un canard jaune qui bouge le derrière en caquetant. Alexandre, un simple stylo. "
C’est mon outil de travail. Je suis dessinateur." Les cheveux longs et bouclés, en dernière année de l’...cole de l’image d’Angoulême, il est venu là pour se remettre la tête dans les ordinateurs, sans être bien sûr de ce qu’il a envie de faire après. Vendredi soir, il sera "
la caméra captive". Un œil accroché au poignet, un graph dans la main, Alexandre va tagger. "
Sur l’écran, mon geste va activer la couleur, la forme et le son. Ce qui est difficile, c’est de produire ce qu’on a envie de dire, de donner du sens et de ne pas se laisser entraîner par la technologie." Il hésite puis ajoute : "
C’est aussi de savoir combien de temps ça peut durer. Le public peut vite être blasé et ennuyé."
Une chaise qui fait danser Barbara...
Renaud fait danser une chaise dans ses bras...Karine Portrait |
À côté, Marianne a perdu son micro, "
il est tout petit", répète t-elle. Marianne a les cheveux tirant vers le rouge et une chemise rose. Elle vient d’Aix, de l’école d’art et prépare un accompagnement sonore pour le dessin numérique d’Alexandre. Une webcam pointée sur son visage, elle joue avec son image, pianotant sur Keystroke, un logiciel de traitement de la vidéo qui permet le
live. " Ce logiciel est intuitif, assez facile à utiliser. D’un clic, d’un mouvement de souris, il est possible de produire de l’effet. " Dans l’autre salle de répétition, plus classique, un parquet et de grandes vitres, d’où dépassent les toits d’usines de Valenciennes. Du rouge et du bois. Renaud tire ses jambes, masse ses muscles, secoue sa tête. Il est l’un des seuls à réaliser une performance physique. Il fait danser une chaise dans ses bras, une chanson de Barbara s’égrène et se déforme selon le mouvement du corps et de sa chaise.
Balles de jongle reliées à des capteurs...Karine Portrait |
Sally s’est posée juste derrière, elle sourit, encourage, presse aussi. Le temps manque. Rien n’est fini. Sur les murs, de grandes feuilles blanches, bien réelles, indiquent l’état des travaux. Quelques
Done, mais encore beaucoup de
in progress. Sally garde les mains dans les poches, un peu tendue, mais loin de l’affolement. "
Vendredi soir, nous ne serons pas là pour en jeter, pour émerveiller le public, mais bien pour montrer l’état d’une expérimentation." Les stagiaires sont venus pour ça, pour pousser le plus loin possible l’expérience, tenter des choses nouvelles. Remettre en question leur pratique.
un mannequin bourré de capteursKarine Portrait |