Une association de Carcassonne qui organise depuis 25 ans des séjours linguistiques avec des lycées américains a dû annuler un voyage prévu cet été à Philadelphie (Pennsylvanie) à cause des réactions anti-françaises de certaines familles d’accueil. Une attitude liée aux positions de la France lors de la guerre en Irak.
Depuis 1976, Nicole Blachon, professeur d’anglais au lycée Jules Fil de Carcassonne et animatrice de l’association USA-Languedoc, emmène chaque été une quinzaine d’adolescents audois aux Etats-Unis.
L’échange se fait avec deux établissements américains : l’un est situé à Jackson (Mississipi), l’autre à Philadelphie. En 2003, les Français devaient accueillir les élèves de Jackson et partir trois semaines en août en Pennsylvanie.
Située au nord de Philadelphie, la Springside School est une école privée pour filles assez huppée, dont les frais de scolarité pour une année de lycée s’élèvent, en 2003-2004, à 17 900 dollars (15 250 euros).
Le 5 mai, Nicole Blachon reçoit un e-mail de son homologue de Springside, Court Van Rooten. Ce dernier lui annonce que son école a décidé de suspendre l’échange pour les étés 2003 et 2004.
"La raison principale en est que nous ne pensons pas pouvoir assurer un accueil vraiment confortable et hospitalier à vos élèves car le sentiment anti-français est très fort ici, aux Etats-Unis", indique le courrier électronique.
"Risque de désagréments"
Le prof américain explique que quatre familles ont exprimé leur refus d’héberger un jeune Français et qu’il existe "un grand risque de désagréments dans les lieux publics" pour le groupe de Carcasssonne. Avant de rappeler, "pour donner un exemple de l’ambiance actuelle" qu’un politicien de Pennsylvanie a fait passer une loi interdisant la vente d’alcools français dans les magasins de l’état.
"Il est malheureux de voir la situation mondiale dicter notre comportement dans nos établissements et vis-à-vis de nos élèves mais je sais que vous comprenez que cette difficile décision a été prise dans l’intérêt de tes élèves et de leurs accompagnateurs et dans le souci de leur bien-être, justifie le professeur de français de Springside. En 2005, les choses auront peut-être évolué au point de permettre de rétablir l’échange et nous en discuterons sûrement d’ici là."
"J’étais totalement abasourdie à la lecture de ce mail. J’avais l’impression d’être jetée comme une malpropre alors que ce genre d’échanges culturels veut justement lutter contre l’étroitesse d’esprit et les préjugés", explique Nicole Blachon.
L’enseignante affirme ne pas avoir eu, depuis lors, de contacts avec la Springside School, hormis une copie papier du mail reçue par la Poste quelques jours plus tard. Le lycée du Mississipi lui a, en revanche, assuré que l’accord d’échange avec Carcassonne était maintenu.
"Attitude minable"
Après avoir tenté en vain de trouver une solution d’accueil de remplacement, l’association USA-Languedoc a dû rembourser sur ses fonds propres les frais de voyage (1200 euros) aux familles audoises, l’assurance annulation d’Air France ne couvrant pas ce type de mésaventure.
Réunis en collectif, les parents d’élèves ont publié le 26 mai un communiqué dans lequel ils apportent leur soutien à l’association et à son animatrice. Ils y critiquent "cette décision unilatérale [de la Springside School]transmise par simple e-mail".
"Il ne s’agit pas d’anti-américanisme primaire, raconte Catherine Benfrech, dont le fils de 15 ans devait partir cet été à Philadelphie. Les gens du Mississipi, que l’on prend généralement pour des ploucs, ont d’ailleurs très bien réagi. Mais je suis vexée par l’attitude extrèmement incorrecte des responsables de Springside, qui se veut une école très chic, très ’Côte Est’. Le sentiment anti-français n’est pas né le 5 mai. Ils pouvaient nous prévenir, nous en aurions discuté et pris une décision commune."
Le collectif de parents français a décidé d’avertir l’ambassade américaine à Paris et le ministère des Affaires étrangères.
"Les gens de Springside ont été minables, juge Catherine Benfrech, et cela se saura."
Contactée à plusieurs reprises, la Springside School de Philadelphie a finalement fait parvenir à Transfert un communiqué. "Cette année, peut-on y lire, en raison d’un changement à la direction du programme d’échange et d’inquiétudes vis-à-vis des voyages scolaires, le programme d’échange [avec Carcassonne] a été suspendu. Pour la directrice de l’établissement Priscilla Sands, cette décision a été prise à une période où le degré d’alerte pour la sécurité intérieure était renforcé dans notre pays et où les écoles prenaient des mesures pour garantir la sécurité des étudiants et reconsidérer les voyages scolaires nationaux et internationaux."