Un groupe d’acteurs de l’édition électronique scientifique française a rejoint le front des opposants au projet de directive européenne visant à instaurer une brevetabilité des logiciels (lire notre dossier). Dans un communiqué du 9 septembre, le site revues.org et d’autres réseaux universitaires du domaine des sciences humaines soulignent la menace juridique que présente la transposition de cette directive. Ce texte, qui doit être voté par le Parlement européen le 22 septembre fait peser un risque sur leurs outils de publication "libres". Le front des opposants aux brevets logiciels s’élargit hors du cercle des spécialistes et s’apprête à recevoir le soutien du puissant Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc).
"L’utilisation des logiciels libres garantit notre indépendance technologique parce qu’ils respectent les standards préconisés par la communauté internationale", expliquent les signataires du communiqué publié par Revues.org, tous issus de l’édition électronique en sciences humaines.
"Grâce aux logiciels libres, nous maîtrisons l’ensemble des processus technologiques que nous mettons en oeuvre ; nous pouvons ainsi adopter et préserver, dans la durée, des formats de documents également libres et transparents qui ne sont pas dépendants d’intérêts privés dont la vocation n’est pas d’assurer la préservation des patrimoines culturels et scientifiques", poursuivent les auteurs des sites, dont Cyberthèses, Elvir.org, le Centre de communication scientifique directe (CCSD) et Revues.org, qui rassemble 18 revues de sciences humaines.
Issus de structures comme le CNRS (Centre national de recherche scientifique) ou l’ENS (Ecole normale supérieure), les signataires ont depuis été rejoints par des dizaines d’acteurs universitaires français. Tous appellent les eurodéputés à voter contre le projet de directive qui vise à instaurer pour les logiciels des brevets inspirés de la législation américaine, alors qu’ils sont encadrés aujourd’hui par le droit d’auteur.
"Terrorisme juridique"
Pour ne pas paraître alarmiste, Marin Dacos, fondateur de Revues.org (qu’il dirige en tant que chargé de recherche du CNRS, à l’université d’Avignon) précise sa position : "Nous ne disons pas que les logiciels libres vont disparaître à cause des brevets. Mais le texte de la directive est tellement flou que nous craignons qu’il permette à des grands groupes de déposer des méthodes techniques informatiques ou des types de procédés. Du coup, ces groupes pourront intenter des procès contre des systèmes similaires "libres", comme ceux que nous utilisons."
Comme de nombreux acteurs de l’internet en Europe, comme les 245 000 signataires de la pétition Eurolinux, les éditeurs de revues scientifiques électroniques craignent une forme de "terrorisme juridique" de la part des détenteurs de brevets.
Des outils développés hors brevet à des fins bien précises d’édition sont menacés. L’équipe de Revues.org a développé, en empruntant parfois des briques logicielles à d’autres logiciels libres, un outil spécifique de publication pour ses 1000 articles annuels : de documents Word, un format propriétaire Microsoft, ils sont passés en Rtf (rich text format), un format ouvert qui est ensuite automatiquement converti en XML (eXtensible Markup Language), un langage qui permet de gérer des bases de données. Cyberthèses, qui est une initiative internationale de mise en ligne de thèses de recherche universitaire, a lui mis au point un outil "libre" adapté à des textes très longs, remplis de notes de bas de page. De son côté, le CCSD, qui met en ligne des milliers d’articles de chercheurs en physique avant qu’ils ne soient publiés dans des revues scientifiques internationales, s’est assuré de pouvoir recevoir des documents dans tous types de formats texte, dont LateX, un traitement de texte très utilisé en sciences exactes.
Offensive américaine
"Si un jour la société X affirme qu’elle a déposé un brevet pour un procédé de conversion Word/Rtf/XML et qu’elle nous fait un procès, cela met en grand danger notre mission scientifique et publique. Et ce, même si elle finit par perdre devant les tribunaux", affirme Marin Dacos.
L’Office européen des brevets délivre déjà des brevets logiciels sous la forme détournée de simples "procédés techniques". Les trois-quarts de ces 30 000 vrais-faux brevets logiciels ont été accordés à des sociétés américaines, à l’instar du fameux libraire en ligne Amazon, qui en a récemment obtenu un pour une technique de "bons d’achat virtuels".
Les opposants à la brevetabilité avancent depuis longtemps que la directive proposée pénaliserait économiquement le secteur logiciel européen et plus particulièrement ses PME et PMI. Selon eux, le changement bénéficierait surtout aux grands groupes, au premier rang desquels les Américains.
L’eurodéputée UMP Dominique Vlasto le reconnaît clairement, en réponse à un email envoyé cette semaine par des opposants à la directive et republié par la section virtuelle du Parti Socialiste français : "Les Etats-Unis ont déjà fait savoir que si l’Union européenne s’opposait à la brevetabilité des logiciels, ils se tourneraient vers l’OMC pour contester ce qu’ils ne manqueraient pas d’assimiler à une forme de protectionnisme."
Ouvrir le débat
Par leur appel, les acteurs de l’édition scientifique électronique souhaitent élargir le débat sur les brevets logiciels, qu’ils estiment trop cantonné au milieu des spécialistes de l’informatique et des logiciels libres.
Malgré la grande technicité de la directive, le front des opposants reçoit, à force de mobilisation, le soutien d’organisations sans lien direct avec le secteur logiciel. Depuis deux ou trois jours, le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc) prépare une sortie contre le texte.
"Le projet de directive est tellement compliqué et les définitions du domaine couvert par les brevets tellement floues que nos experts juridiques ont du mal à déterminer les conséquences exactes pour les clients et utilisateurs" explique-t-on au siège bruxellois de cette puissante fédération qui compte L’UFC-Que Choisir, le CLCV et Orgéco parmi ses membres. Nous prendrons une position précise au début de la semaine prochaine."
La complexité technique et juridique participe d’une stratégie hostile à la transparence démocratique, accusent les opposants à la directive. Pour élargir le débat public et convaincre les eurodéputés sur une question qui divise les partis politiques, il ne reste qu’une dizaine de jours, avant l’examen du texte en session plénière du parlement à Bruxelles.
Le communiqué "Des acteurs de l’édition électronique en France s’opposent aux brevets logiciels":
http://www.revues.org/brevetslogici...
Revues.org:
(->http://www.revues.org]
Cyberthèses:
http://sourcesup.cru.fr/cybertheses
Le Centre de communication scientifique directe (CNRS):
http://ccsd.cnrs.fr/
"La bataille des brevets logiciels" (dossier Transfert.net):
http://www.transfert.net/d60