Des ONG américaines portent plainte contre deux laboratoires de "biodéfense", jugés dangereux
Ils seront placés dans des sites de recherche nucléaire... Pour plus de transparence ?
Le mardi 26 août, un groupe de sept ONG américaines a déposé une plainte contre le Département américain de l’Energie (DoE), qui construit actuellement deux nouvelles unités de recherche sur les agents biochimiques, au sein de laboratoires très secrets du programme nucléaire américain. Ces extensions sont illégales, avancent les ONG, car elles n’ont pas fait l’objet d’études sérieuses d’impact sur l’environnement et la santé humaine. Déposée devant la Cour fédérale de l’Etat de Californie du Nord, la plainte est aussi un moyen pour les militants de dénoncer le manque de transparence de la politique américaine en matière de "biodéfense" et de réaffirmer son aspect purement "défensif".
Sabotage, accidents de transport, fuite de cobayes, tremblements de terre et attaques terroristes... Selon un groupe d’ONG américaines, le Département de l’Energie américain n’a pris en compte aucun de ces risques sérieusement, quand il a entrepris, fin 2000, de construire deux nouvelles extensions sur les sites californiens de Los Alamos et Lawrence Livermore, deux grands laboratoires connus pour leurs programmes de recherche sur les armes nucléaires. Les deux bâtiments, qui ne sont pas achevés, devraient être opérationnels en juin 2004.
Officiellement inscrits dans la politique de lutte contre le terrorisme du gouvernement américain, ces deux laboratoires seront des unités de recherche de pointe dans le domaine de la "biodéfense". Les chercheurs doivent y manipuler les agents pathogènes les plus virulents (anthrax, peste, botulisme...) pour y trouver des parades et antidotes.
Les "chiens de garde"
Sept ONG américaines, regroupées pour l’occasion, ont déposé le 26 août une plainte contre le DoE.
Elles sont emmenées par Tri-Valley CAREs, une association dont les quatre permanents et les 4000 membres revendiqués luttent contre les dérives de la politique nucléaire de George W. Bush. Tri-Valley CAREs "surveille" le site de Livermore. A ses côtés, Nuclear Watch of New Mexico joue le rôle de "chien de garde" sur le site de Los Alamos et sur la décharge locale de déchets nucléaires enfouis en profondeur, unique au monde. Une série d’autres ONG se sont aussi associées à la plainte : Citizens Education Project, Coalition for a Safe Lab, Council for Responsible Genetics, Physicians for Social Responsibility et le Sunshine Project, dont les experts indépendants dénoncent régulièrement les abus du programme américain d’armes biochimiques (lire notre article).
Le but de la plainte : obliger le Departement de l’Energie à mener des études approfondies sur la sécurité des deux sites en contruction. La loi de protection de l’environnement (National Environemental Protection Act) prévoit qu’une "évaluation d’impact environnemental" soit menée pour ce genre de site. Ce que le DoE n’a pas fait, se contentant d’une "évaluation environnementale", une procédure "beaucoup moins détaillée et contraignante", selon Stephan Volker, avocat des ONG.
Après deux ans de travail, notamment avec des experts indépendants, les activistes affirment que le Department of Energy ne prend pas assez en compte le risque sismique, particulièrement élevé dans la région californienne. "Les bâtiments ne prévoient qu’un séisme d’une accélération gravitationnelle de 0,6, alors que les secousses atteignent parfois 1,0 dans la région", affirme l’avocat des ONG, spécialiste du droit environnemental.
Les responsables associatifs affirment aussi que le Department of Energy n’a pas mené d’études sur le risque terroriste pour ces deux laboratoires, qui constitueraient pourtant des cibles potentielles en raison des agents pathogènes qu’ils contiendront.
Des tremblements de terre ? Des terroristes ? Où ça ?
Mis en cause, les responsables des laboratoires de Livermore et Los Alamos réfutent en bloc les accusations des activistes. "Ce bâtiment est prévu pour résister au pire tremblement de terre des mille prochaines années !", tonne Stephen Wampler, porte-parole du site de Livermore, qui affirme que les extensions sont construites selon les mêmes critères de sécurité sismique que les commissariats, les casernes de pompiers et les hôpitaux.
Concernant le risque terroriste, le porte-parole de Livermore affiche la même incrédulité : "Je ne vois pas pourquoi des terroristes essaieraient de s’introduire dans notre labo, qui est gardé par des agents armés." Sans donner plus de détails.
Les activistes laissent aux tribunaux le soin de trancher la polémique. Et se montrent optimistes : "Nous pensons que, si les études sont menées correctement, les deux projets d’extensions pourraient être stoppées, au vu des risques qu’ils entraînent", affirme Geoff Petrie, de Nuclear Watch New Mexico.
Concrètement, la plainte déposée contre le DoE doit être examinée par un juge, incessament. Les ONG auront alors deux mois pour déposer une demande "d’injonction préliminaire", et tenter d’obtenir la suspension temporaire des travaux sur les sites. Stephan Volker estime avoir une "bonne chance" qu’elle soit accordée et espère un jugement avant la fin de l’année, dans cette affaire où les deux parties souhaitent aller vite.
Au-delà des cas de Los Alamos et Livermore, les activistes demandent que tout le programme national de biodéfense américain fasse aussi l’objet d’une évaluation d’impact environnemental, comme le prévoit la loi. S’ils obtenaient gain de cause, ils soulignent que la procédure obligerait le Department of Energy à rechercher les solutions alternatives à celles qu’il a choisie.
Atome, virus, même combat
"Il est évident que ces deux laboratoires pourraient être placés ailleurs, par exemple dans les structures de recherche publiques et civiles comme le National Center for Disease Control", affirme Marylia Kelley, directrice de Tri-Valley CAREs. Pour l’activiste riveraine de Livermore, les Etats-Unis se montrent "hypocrites" vis-à-vis du reste du monde et affaiblissent la portée de la Convention internationale sur les armes biologiques de 1972, dont l’administration Bush a déjà gêné les négociations l’an dernier.
"Les Etats-Unis ont fait le choix délibéré de placer, pour la première fois de son histoire, des laboratoires de recherche en biodéfense dans des sites phares de son programme nucléaire, dénonce Marylia Kelley, auteur article sur le sujet. Cette proximité est dangereuse car elle laisse penser que les recherches en biodéfense seront menées dans l’opacité totale qui entoure déjà le programme nucléaire."
Avec cette action en justice, les ONG espèrent une plus grande transparence de la part du gouvernement, garant démocratique. "Nous aimerions par exemple amener les officiels à réaffirmer que le programme national de biodéfense est purement ’défensif’, et en aucun cas ’offensif’", explique Colin King, le directeur de recherche de Nuclear Watch New Mexico. Un objectif qui semble évident, mais qui reste résolument absent des documents officiels et dont les activistes viennent à douter, au vu des développements récents de la recherche en biodéfense américaine.
Le texte de la plainte déposée par les ONG (en .pdf)
http://www.trivalleycares.org/TVC_B...
"Mixing bugs and bombs", un long article co-écrit par Marylia Kelley (Atomic Scientists):
http://www.thebulletin.org/issues/2...
Le site de Tri-Valley CAREs:
http://www.trivalleycares.org/
Le site de Nuclear Watch New Mexico
http://www.nukewatch.org/
Le site du Sunshine Project:
http://www.sunshine-project.org
Le site du Lawrence Livermore National Laboratory:
http://www.llnl.gov/
La Convention sur les armes biologiques (ONU):
http://disarmament.un.org/wmd/bwc/
Une ONG joue les inspecteurs de l’ONU aux Etats-Unis (Transfert.net):
http://www.transfert.net/a8502
L’armée américaine fait breveter une grenade pour armes biologiques (Transfert.net):
http://www.transfert.net/a8790
Les armes "non létales" américaines sont en fait mortelles (Transfert.net):
http://www.transfert.net/a8550