

27/03/2000 • 16h03

De l’art du Net (et puis du spam)

Lorient accueillait les 18 et 19 mars une partie de ceux qui font de l’art avec le Net : concours de spams, de floods, jeux de mails et shows low-tech s’enchaînaient. Certains appellent ça du net.art, tous le font en tout cas pour s’amuser du Web et faire vivre le Réseau, sinon le rendre moins... bêta.
La
rencontre Actions Réseaux Numériques
(x-arn.org)
avait lieu en plein cur de la fête de
l’Internet. Ses organisateurs ne sont pas particulièrement
opportunistes et ont plutôt tendance à
dénigrer ce genre dévénement
trans-national et plutôt fourre-tout. Ils affirment
avoir choisi la date presque par hasard, et n’ont
de toute façon guère été
soutenus dans leur projet : faire se rencontrer physiquement
ceux qui pensent et créent l’art en réseau.
La rencontre se tenait dans un bunker truffé
dordinateurs, et fut le théâtre
dopérations pour le moins détonantes.
Ping-pong à coup de lignes de codes
Le sommet de délire en ligne opposa ainsi pleine-peau.com
à pavu.com,
deux des sites phares de ce week-end, dans une partie
de ping-pong en "direct live" mais télécommandée
par IRC (Internet Relay Chat) et retransmise par webcam
(comme tout le reste de la manifestation dailleurs).
Loccasion était trop belle pour ces adeptes
du chat en ligne de se battre à coup
de floods : entendez par là quils
se bombardaient de lignes de codes et jeux de mots
dans une sorte de lutte fratricide pour savoir lequel
aurait le dernier (bon) mot. La partie fut intitulée
"Masters de Fred Forest Hill", bien que
lartiste ait dû décliner linvitation
(voir article de Transfert : Le
musée
Et après ?).
Le gagnant en fut Valéry Grancher, artiste
lui aussi très haut placé dans le baromètre
du marché de lart et de linstitution,
et lui aussi absent de la manifestation pour cause
de divergence dopinion. IVG (Internaute Valéry
Grancher, tel quil se surnomme lui-même)
venait dannoncer la sortie dun "économiseur-reposoir
d’écran" à télécharger
sur le site du ministère de la Culture, dans
le cadre dune commande pour la fête de
lInternet.
On lui préfèrera celui de Kristina Solomoukha,
Modèle pour l’administration sans
peine, qui décrit un peu mieux le
pourquoi du comment des professionnels de lart
et de la culture quand ils se lancent sur le réseau
des réseaux. En loccurrence, aucun des
artistes présents à Lorient nest
subventionné, ce qui explique dautant
mieux leur propension à sen prendre à
ceux qui, bien que payés pour faire de l’art
sur Internet, en évacuent la dimension interactive
Pavu dépose... "le bilan" à l’INPI
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Pavu
dépose
"le bilan" à
lINPI
Parodiant à lextrême lenthousiasme
propre à la net économie, léquipe
de pavu.com sest ainsi livrée à
un show à laméricaine (casquettes
et lunettes noires comprises) pour annoncer officiellement
la création de la GNou Bank, en référence
à lanimal fétiche des promoteurs
des logiciels libres. "Nous sommes une start-up :
nous créons les concepts qui permettent de
créer les produits", en loccurence
une monnaie dénommée Data Head et cotée
6,960 kilooctets : "plusieurs artistes ont
récemment été attaqués
par des sociétés de chasse sauvage telles
Etoys ou Leonardo, alors que le yen, le dollar, ça
vaut pas un kopek sur le Réseau ! La seule
valeur internationale, c’est l’espace serveur."
Ils proposent donc de se créer un portefeuille
de GNous, réserve naturelle de mémoire
informatique sur les sites Web, troupeau qui, à
terme, pourrait se multiplier comme des petits pains
et créer un véritable marché.
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Vous ny entendez goutte ? Dites-vous juste que
lun des membres de pavu.com na pas hésité
à déposer
"le bilan"
auprès de lINPI (Institut national de
la propriété intellectuelle) qui gère
le droit des marques
Il ne sest pas encore
décidé à porter plainte pour
contrefaçon (comme dans laffaire Leonardo
vs Leonardo) contre toutes les sociétés
qui, sans jamais le consulter, déposent quotidiennement
leur bilan en toute impunité. Mais qui sait
Ils nen sont plus à une provocation près
et passent une bonne partie de leur temps à
lancer de tels projets, détournements de ce
qui fait la vie du Web, sans faire le tri entre la
nouvelle économie et la communauté du
logiciel libre dailleurs...
Lart du spam
Frédéric
Madre, de pleine-peau.com,
a rappelé comment tous les artistes du Réseau
ou presque ont commencé : en allant piocher
dans le code source des sites les plus intéressants
des lignes qui serviront, une fois recyclées,
à créer leur propre site. Ainsi sont
nés les créations multi ou hyper-médias
qui prennent un malin plaisir à détourner
les "règles" de la programmation
classique en vue de les pousser jusque dans leurs
retranchements, quitte à dérouter linternaute
néophyte. Pleine-peau.com se présente
comme un dérivé du journal intime, mêlant
images et textes, liens hypertextes et graphiques
(parfois) dynamiques. Mais Madre est surtout actif
sur les mailing-lists, qui permettent aux nouveaux
de sinitier, et aux autres de rester informés.
Il a ainsi créé, suite à ZAC99
(voir article de Transfert : Le
musée
Et après ?),
palais-tokyo,
une mailing-list ouverte à tous et particulièrement
active. Pour preuve les 314 mails reçus lors
du week-end x-arn, résultant de concours de
spams lancés depuis le bunker par ces artistes,
relayés par dautres répartis en
France comme "à létranger"
(même si, sur le Réseau, ce genre dexpression
na aucun sens). Le spam est dordinaire
assimilé à un envoi en grand nombre
de mails non sollicités. Sils polluent
dordinaire nos boîtes aux lettres électroniques
de publicités intempestives, ces artistes sen
sont fait une spécialité au point que
lon pourrait à bon droit parler de "spam.art"
: ils ont créé plusieurs pages Web à
partir desquelles on peut envoyer, sur différentes
mailing-lists consacrées à lart
en réseau, des mails plus ou moins formatés
(mais que lon peut dédicacer).
I-boosters et data-dessins
On peut ainsi lancer en ligne une liste de mots-clés
interdits en Australie, l’Internet y étant
censuré depuis le 1er janvier (sur x-arn.org),
ou encore des bisous à ses net.artistes préférés
(liste disponible sur pavu.com, qui a développé
toute une série de ce qu’ils appellent
des "i-boosters"), sans parler du grand
classique du genre, créé par pleine-peau.com
pour spammer presque toutes les mailing-lists de net.art.
La palme revient cependant à asco-o, créé
par d2b (voir d2b.org
ou 028.online.fr),
DJ et petit génie du net.art qui sest
associé à un artiste lituanien pour
faire du mail art en codes ASCII (du nom de code quon
donne à la typo informatique). Recevoir plusieurs
fois dans la journée leurs data-dessins est
un pur régal, surtout pour ceux qui, fervents
adeptes ou professionnels de lInternet, sont
quotidiennement bombardés dinfos par
mail : enfin un peu de poésie dans un monde
de bits !
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