Le juge des référés a entendu ce matin les arguments de Danone et de jeboycottedanone.com. Autant que de droit des marques, on a évoqué les implications sociales de l’affaire et renvoyé la décision au lundi 23 avril.
L’affaire qui oppose Danone au site jeboycottedanone ne connaîtra son premier dénouement que lundi 23 avril. Vendredi 20 avril, le juge des référés n’a en effet pas tranché la question posée par Danone : le site jeboycottedanone.com porte-t-il une atteinte assez importante au célèbre yaourtier pour qu’on ordonne sa fermeture provisoire en attendant que le procès au fond détermine s’il constitue une contrefaçon des marques Danone ? L’audience, à laquelle ont assisté de nombreux médias, a tout de même permis d’entendre les arguments des deux parties. Avec une opposition de style assez flagrante.
Liberté d’information contre liberté d’entreprendre
Comme prévu dans sa stratégie, Emmanuel Pierrat, l’avocat de jeboycottedanone, a tiré le débat vers les questions sociales entourant le boycott. Dans un premier temps, il a tenté de prouver que la plainte de Danone contre Olivier Malnuit était irrecevable puisque ce dernier n’était pas éditeur du site à titre personnel. Selon Pierrat, le fondateur du site, qui est aussi rédacteur en chef du site du magazine parisien Technikart, aurait agi pour le compte de l’association en cours de création Boycott !. Malnuit en a déposé les statuts à la préfecture mais cette dernière ne les a pas encore publiés. Licenciements, politique sociale, désarroi des consommateurs et des salariés… Emmanuel Pierrat a ensuite longuement rappelé le contexte qui avait mené à la création de jeboycottedanone, en citant deux sondages parus dans la presse nationale : "À la question ’Faut-il boycotter Danone ?’, le site du Nouvel Observateur comptabilisait 65 % de réponses positives. Un sondage CSA /L’Humanité rapporte que 85 % des Français éprouvent du soutien et de la sympathie à l’égard du mouvement des grévistes des usines de Danone..." D’où la question : pourquoi Danone n’a t il pas attaqué tous les journaux qui ont relaté les propos des opposants à Danone, voire appelé au boycott ? Prouvant de facto l’instrumentalisation du droit des marques pour faire taire un site d’information et d’opinion, Pierrat a enfin plaidé l’exception de parodie, une des seules brèches juridiques permettant de citer une marque impunément. "Le pastiche est constitué dès lors que se produit, par imitation, un effet de dérision ou de contradiction inattendue…", a malicieusement rappelé Pierrat, tentant de faire confirmer une jurisprudence isolée.
Une bonne vieille recette…
En réponse, Michel-Paul Escande, l’avocat de Danone, a fait remarquer la bonne tenue des débats et défendu son client : "On voit apparaître l’exception de pastiche dans la jurisprudence avec une certaine réticence. J’ai rappelé que la liberté d’information ne devait pas faire oublier la liberté d’entreprendre, qui est tout aussi légitime." Cette vérité semble être bien connue de cet avocat spécialiste de la propriété industrielle qui a récemment fait condamner, pour le compte de Renault, Auto5.com, un site sur lequel des femmes jugeaient et comparaient les services et produits d’une cinquantaine de marques automobiles. En publiant un article critiquant le peu d’informations disponibles sur le nouveau site de Renault, Auto5 s’est attiré les foudres de cet autre champion de l’industrie française. Au terme de plus de deux ans d’imbroglio juridique, le site tout gratuit qui ne faisait que renseigner les clients a été condamné à 630 000 F de dommages et intérêts pour… contrefaçon. "J’aimerais bien faire appel parce que les audiences en appel permettent au défendeur de dire ce qu’il a sur le cœur. Mais il faudrait pour cela pouvoir payer les 630 000 F. C’est impossible", résume, désabusé, Jean-Jacques Brissiaud, un des fondateurs d’Auto5.com.
Après l’audience, Olivier Malnuit, lui, a pu souffler un peu après les derniers jours d’un combat qu’il voit comme celui " d’une mouche contre Goliath. " Confiant, il s’est félicité de la présence à l’audience de plusieurs salariés de l’usine Danone de Ris Orangis. "Ça m’a fait très plaisir. Et je sais que ce n’est pas facile pour des grévistes de Calais de faire se déplacer le Nouvel Observateur. Alors si notre combat les aide un peu…" Malnuit, converti au militantisme de terrain, prendra samedi avec les grévistes le car qui partira du magasin Marks and Spencer’s des grands boulevards parisiens pour rejoindre Calais, où une manifestation de soutien aux salariés de Danone est organisée. Une nouvelle manche dans un combat où les points d’image de marque valent cher.