Kevin Danaher, 50 ans, est le leader charismatique de Global Exchange, une ONG californienne anti-mondialisation de 40 employés. Il travaille depuis 1988 à mettre en relation et à développer des communautés traditionnelles dans le monde, mais a progressivement radicalisé son action depuis Seattle.
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Transfert - Qu’est ce qui a changé depuis Seattle ?
Kevin Danaher - Les manifestations de Prague sont dans la lignée de celles de Seattle. La résistance globale est beaucoup plus forte aujourd’hui. Internet a été crucial dans ce renouveau de la résistance. En avril 2000, lors des protestations contre le précédent sommet de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (A16, pour April 16th), nous étions entre 20 000 et 30 000 dans les rues de Washington, contre 25 l’année précédente ! Internet est un élément central de l’infrastructure du mouvement, et a rendu les choses bien plus simples. Pendant le A16, nous avions environ 20 000 clics par jour et beaucoup de téléchargements de nos argumentaires, que les gens impriment pour faire leurs propres tracts. Il faut se rappeler que beaucoup de nos troupes sont des étudiants, qui utilisent les nouvelles technologies de façon très créative.
Quel est l’enjeu des manifestations à Prague ?
S’il fallait résumer l’enjeu de Prague en un slogan, ce serait : " Unir nos amis et diviser nos ennemis ". À Seattle, les discordes entre administrations américaines, pays du Sud et du Nord, Europe et ...tats-Unis, ont été une de nos grandes victoires. À Washington, cette année, le FMI a refusé tout débat et lancé des attaques ad hominem. C’est une preuve de leur faiblesse. Pour la résistance, la grande question est : pouvons-nous garder ce haut niveau de camaraderie entre des pôles différents, entre ceux qui veulent réformer les institutions comme l’OMC, et ceux qui veulent faire table rase et les abolir ? Personnellement, je suis abolitionniste.
Croyez-vous pouvoir globaliser la résistance pour vous opposer à celle des marchés ?
Nous voulons opposer le cycle de la vie au cycle de l’argent. Nous ne voulons pas d’une solidarité transnationale réservée aux élites. Nous avons clairement le sentiment d’opposer à la globalisation des marchés l’Autre Globalisation. Nous fomentons une internationale des communautés traditionnelles. Aujourd’hui, c’est un réseau de personnes, de villes, d’écoles... Comme il y a eu la séparation de l’...glise et de l’...tat au début du siècle dernier, nous demandons la séparation de l’Entreprise et de l’...tat.
Quel rôle concret joue Internet dans ce mouvement ?
Internet a une capacité technique : il permet à de nombreuses voix de s’exprimer. Il n’y a qu’à regarder les centaines de liens entre sites militants. Mais il a aussi une influence politique : l’organisation en réseau correspond à ce que nous pensons de l’échec du modèle de résistance léniniste, fondée sur un parti d’avant-garde centralisé renversant le pouvoir dans un pays. Le modèle qui domine aujourd’hui dans notre mouvement est horizontal, non-hiérarchique et fluide. Il ressemble à une roue, avec des rayons reliés au centre et entre eux. Nous avons l’intention de donner une forme permanente au mouvement né à Seattle : c’est l’un des objets du Sommet Social prévu à Porto Allegre au Brésil fin janvier prochain. La tête sera tournante et temporaire. On ne sait pas encore quelle forme exacte adopter : Parti global des citoyens, V° Internationale, appelez-la comme vous voulez... Nous posons aujourd’hui la première couche de ce qui va être la première révolution globale contre le capitalisme. Si vous remarquez, les Zapatistes, en 1994, ne cherchaient pas à non plus à renverser le gouvernement mexicain. Ils avaient au contraire des buts globaux.
Le mouvement né à Seattle est très médiatique. Est-ce une bonne chose ?
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Notre rapport aux médias traditionnels est duel. Ils n’ont jamais mis l’accent sur nos messages et ont préféré se concentrer sur les quelques violences qu’on a pu voir à Seattle. Mais nous les avons tout de même pénétrés. Plusieurs magazines économiques nous ont par exemple cités comme des interlocuteurs intéressants. L’intérêt vient des journalistes, dont certains, à titre personnel, se sentent proches de nos revendications.
Quelles sont les limites du militantisme par Internet ?
Les limites de la technologie sont claires : toute technologie bénéficiera toujours plus à nos ennemis qu’à nous, parce ce qu’ils ont beaucoup plus d’argent. Mais s’ils sont maîtres des tuyaux, et aussi gros soient-ils, notre contenu sera toujours meilleur que le leur. Et nous gagnerons sur ce terrain. Quand tout le monde parle d’économie de la connaissance ou du savoir, nous pensons que c’est à notre avantage. La résistance est beaucoup plus forte depuis l’arrivée d’Internet. Tous les coûts de production ont baissé, dans l’édition militante par exemple. Nous arrivons à faire descendre des gens dans la rue. Il n’y aura jamais une manif rassemblant des milliers de millionnaires... Nous utilisons Internet comme un outil. Et l’éducation dans ce domaine ne fait que grandir chez les militants. Par exemple, nous apprenons tous à hiérarchiser l’info. Je détruis automatiquement les e-mails de certains interlocuteurs, alors que je me rue sur d’autres. Internet nous donne également un autre challenge : apporter l’équipement aux gens du Sud, sinon, notre mouvement restera occidental et nordique. Le danger est la course contre le temps : pouvons-nous convaincre assez de gens ? Car les pays pauvres veulent naturellement consommer. Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir des produits. C’est la drogue la plus puissante que j’aie jamais prise. Mais nous sommes confiants... Donnez-moi un débat loyal avec n’importe lequel de nos détracteurs, devant n’importe quel public, et je sortirai vainqueur...
Internet offre-t-il aujourd’hui un débat loyal avec vos ennemis ?
Non. Si Global Exchange avait ne serait-ce que le budget de publicité d’une multinationale comme Nike... Nous pourrions faire infiniment plus. Mais le Réseau nous a tout de même permis de montrer qu’il était possible de faire trembler les fondations du Système.
Mais vous n’aurez jamais ce budget...
Le rapport de forces s’améliore. Par exemple, il y a aux ...tats-Unis des riches ou des héritiers qui ne croient plus au profit roi. Et de nouvelles entreprises qui croient en d’autres principes. Regardez les National Green Pages, qui recensent des milliers de business alternatifs, ou CoOp America, à Washington. Pour nous, c’est ça, la " nouvelle économie ".