Gérard Gouzes, vice-président de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) et député, défend la recommandation de la commission au sujet du nécessaire anonymat des décisions de justice publiées sur l’Internet.
La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) vient de rendre publique une recommandation assez restrictive au sujet la mise en ligne des décisions de justice. La question qui se posait à elle, face à l’expansion de l’Internet était basique : peut-on diffuser les noms de ceux qui ont été impliqués dans une affaire de justice sur le Réseau ? Non a conclu la CNIL, qui prône l’anonymisation des décisions de justice sur Internet. Mais cette limite ne concerne toutefois pas les bases de données juridiques. Ni l’utilisation, à destination des juristes - avocats, magistrats, étudiants - de la référence au nom d’une des parties au procès pour évoquer une jurisprudence notable, du style arrêt " Perruche ". Interview de Gérard Gouzes, député (PS) du Lot-et-Garonne et vice-président de la CNIL.
Pourquoi une telle décision mi-chèvre mi-chou, alors que la CNIL défend généralement des principes plus fermes ?
Il s’agit de concilier deux principes contraires. Le premier, c’est celui de la protection de la vie privée des gens. Pour que personne ne puisse savoir, par exemple, si son employé, son voisin, son locataire a pu se trouver dans une situation judiciaire délicate, alors qu’il a payé sa dette à la société. Il existe, en cette matière, un "droit à l’oubli".
Le second, c’est qu’il ne s’agit en aucun cas de gêner les chercheurs, les étudiants en droit, les magistrats qui ont besoin, dans le cadre de leur exercice, de procédés mnémotechniques pour faire référence aux affaires judiciaires. Vous remarquerez tout de même que pour les publications destinées aux professionnels, la CNIL a demandé qu’on supprime les adresses des personnes concernées. Mais le principe général réside dans le fait qu’on ne peut pas laisser publier sur Internet des informations d’ordre juridique qui pourraient être utilisées à d’autres fins. On ne peut pas laisser se constituer ainsi une sorte de casier judiciaire parallèle.
La CNIL appelle la presse à une " réflexion déontologique " sur la publication de ces données. Est-ce un premier pas vers un encadrement du traitement des " affaires " pour la presse Internet et papier ?
Nous sommes très attachés à la liberté de la presse. La seule manière possible de traiter cette question c’est l’appel à la déontologie. S’il y a un doute, que la presse se tourne vers la CNIL pour en discuter. Ce n’est pas la même chose de publier des informations propres à mettre en cause la vie des gens dans un journal tiré à 200.000 exemplaire et sur un site Internet qui sera vu par un million de personnes. La réflexion de la CNIL sur ce sujet est partie d’une affaire de presse bien réelle : un homme qui avait été condamné à plusieurs années de prison s’était réhabilité, avait trouvé du travail. Il était devenu formateur en informatique. Lors d’un exercice, ses élèves sont tombés sur un article qui racontait son affaire. Il a perdu son emploi. La puissance des moteurs de recherche est telle aujourd’hui que tout ce qui vous concerne apparaît en un clin d’œil.
Vous êtes avocat, vous savez bien que vos confrères n’hésitent pas à bâtir la défense de leurs clients avec la presse...
C’est vrai qu’on ne peut rien faire dans ces cas-là. Mais Les avocats qui entretiennent ces pratiques mettent leurs clients en danger. Bien sûr, s’il s’agit d’un personnage célèbre, c’est une autre histoire...
Une recommandation de la CNIL n’a pas force de loi : espérez-vous que le Parlement s’en saisira lors de l’examen du projet de loi réformant le texte de 1978 (qui régit l’activité de la Cnil) ... dont vous êtes le rapporteur ?
Il est possible qu’à l’occasion du débat, les parlementaires prennent conscience de la portée fantastique d’Internet dans ce domaine. Ce ne sera pas de mon fait : il faut garder de la mesure sur ces questions, je fais confiance aux journalistes. Il n’y a aucune raison de mettre en place des limites législatives qui viendraient heurter les principes sacrés de liberté de la presse.