TRANSFERT S'ARRETE
Transfert décryptait l'actualité des nouvelles technologies,
proposait un fil info quotidien et une série d'outils de veille. Notre agence, refusant toute publicité,
dépendait de ses abonnements.
Club-Internet : polémique sur la faim et les moyens
son flash
Troisième jour de grève de la faim pour Bruno Lebeau. Ce délégué FO chez Club-Internet veut faire céder la direction sur une question de salaires. Retour sur une étrange affaire.
Bruno Lebeau Karine Portrait
Il a le visage encore rond et les mains qui tremblent un peu. Bruno Lebeau est fatigué. Ce délégué syndical Force ouvrière, employé au service commercial de Club-Internet, a entamé le 4 décembre une grève de la faim. Qu’il mènera jusqu’au bout. La raison ? Une question de salaires. Depuis mars, la direction des ressources humaines a mis en place un système de primes : 1 200 francs si une moyenne de 80 appels quotidiens est respectée. Dans ce service, la rémunération moyenne est de 8 000 à 9 000 francs brut. Bruno Lebeau réclame donc l’intégration de la prime au salaire fixe.
Négociations interrompues
Les négociations ont commencé en septembre. Une première réunion officielle s’est tenue début novembre. Une seconde, le jeudi 30 novembre. Ce jour-là, Catherine Dutoya, directrice des ressources humaines, explique pourquoi elle ne peut pas accepter les revendications du syndicaliste. Brune, le regard vif, elle maintient : "Nous pensions qu’intégrer la prime n’était pas la bonne solution." Bruno Lebeau décide alors de suspendre la séance. Une initiative que le jeune homme de trente ans explique ainsi : "Je ne voulais pas qu’ils signent un PV de désaccord qui aurait mis fin aux négociations." En effet, le code du travail est clair : obligation de négocier. Pas de conclure. La DRH s’en défend, elle n’envisageait pas un tel recours : "On s’était donné rendez-vous lundi 4 décembre pour poursuivre les négociations."
Ce lundi 4 décembre, c’est un mail qui prévient l’ensemble du personnel de la boîte : Bruno Lebeau a cessé de s’alimenter. Pour protester. "Démesuré", "choquant", "disproportionné" : le geste n’est pas compris par la direction. "C’est un mode de pression inappropriée et inacceptable. Nous sommes pris en otage", argumente Catherine Dutoya. Bruno Lebeau, lui, se justifie. Il parle de moyen et pas de finalité, de démarche personnelle, et pas syndicale. De stratégie. "Une grève classique n’aurait mené à rien. En 10 jours, le mouvement aurait été cassé. En cessant de m’alimenter, je peux espérer que le grand public s’intéresse à notre situation, que nous prenions du poids. Alors nous pourrons commencer efficacement une grève normale."
Travailler au service commercial n’est effectivement pas une activité de tout repos. Installés dans de grands espaces clairs, casques sur les oreilles, les employés répondent aux appels des clients et des curieux, proposent les dernières offres, trient le courrier, réclamations et abonnements. Un call center tout ce qui a de plus classique et éprouvant. Même la DRH juge ce travail fatigant et stressant. "Mais chez nous, précise t-on très vite, il est possible d’évoluer." Une partie des salariés louent l’ambiance plutôt agréable qui règne sur leur lieu de travail. Mais dans la salle de pause, d’autres parlent aussi de "supérieur tatillon, de "pression", et de cette prime de 1 200 francs impossible à avoir sans travailler "gratuitement" au-delà des horaires. Pourtant, les avis restent partagés sur la démarche. Certains soutiennent la grève de la faim, y voient un geste courageux et au service des conditions de travail ; d’autres condamnent : "On n’a pas le droit de se mettre ainsi en danger." Beaucoup comprennent les motifs de l’action mais pas la méthode. "C’est une bonne cause, mais je ne peux pas approuver ce genre de chose."
CFDT opposée
Le délégué FO ne pourra en tout cas pas compter sur le soutien de la CFDT. Thierry Bonnet, délégué de la centrale de Nicole Notat, a un discours on ne peut plus mesuré : "Le harcèlement moral ? Juste lui [Bruno Lebeau] et quelques personnes qui ont des problèmes avec leur supérieur. L’augmentation des salaires ? Ce n’était pas le moment." Et le coup final : "Bruno en fait plus qu’il n’en faut. On en arrive même à ne pas parler de certaines choses devant lui pour ne pas qu’il les monte en épingle. Surtout qu’il cantonne son rôle à son service : si l’avantage n’est pas intéressant pour son service, personne ne devrait l’avoir. "
Reste l’acte, désespéré. Bruno Lebeau prend son rôle à cœur. Prêt, dit-il, à aller jusqu’au bout. Même s’il dit "ne pas vouloir être martyr, ni héros", il en endosse les habits. Monte le ton devant la direction, s’énerve quand le chef du personnel s’adresse à lui. Plus le temps passe, plus l’issue s’avère difficile à envisager.