Le célèbre musicien-compositeur-producteur-penseur Brian Eno a sorti mercredi 3 juin un nouvel album, intitulé January 07003. Ce album expérimental est une initiative au profit de la "Long Now Foundation", une association américaine qui promeut la pensée à long terme et la technologie durable. Leur projet phare : une horloge qui durera 10 000 ans.

La pochette de "January 07003", l’album de Brian Eno au profit de la Long Now Foundation (DR)
January 07003, Bell Studies for the Clock of the Long Now... c’est sous ce titre énigmatique que Brian Eno propose ses "études de cloches pour l’horloge du Long Maintenant". L’ex-star du groupe Roxy Music est l’auteur de ce dernier concept, qui a donné son nom à une fondation américaine créée à la fin des années 90.
En tant que membre actif, Brian Eno participe depuis le début au monumental projet d’horloge de la Fondation : "L’idée est de créer une vraie horloge qui marquera le temps pendant 10 000 ans... Non pas vraiment parce que nous avons besoin de plus d’horloges dans le monde mais parce que nous avons besoin de plus d’incitations à contempler le futur distant de l’humanité, explique Eno dans le communiqué de la Fondation pour le lancement de l’album. C’est une icône de la pensée à long terme."
L’algorithme donne le tempo
Le nouveau disque de l’inventeur de la musique "ambient" est aussi expérimental que nombre de ses travaux, comme le célèbre Music for Airports. Les pistes sont différentes variations de sons de cloches, conçues comme des carillons pour l’horloge. Avec Danny Hillis, un informaticien de haut vol qui a cofondé la Long Now après avoir inventé l’ordinateur le plus rapide du monde dans les années 80, Eno a travaillé sur un algorithme qui génèrerait un carillon unique à chaque fois que la cloche sonne. Soit une fois par jour, pendant 10 000 ans.
L’album, entièrement au profit de la Long Now Foundation, est vendu sur son site, sur la boutique en ligne d’Eno et au Science Museum de Londres, où est exposé le premier prototype - miniature - de l’horloge. Ce disque, dont des échantillons sont disponibles sur EnoShop, coïncide aussi avec une installation sonore réalisée pour le Science Museum par Eno, qui vit en Angleterre.
Le son des cloches du compère de John Cale, David Bowie et U2 est entièrement issu de programmes informatiques. Pionnier des synthétiseurs, Eno dit s’être intéressé aux cloches jusqu’à en imaginer de nouvelles, futuristes, "hors d’atteinte, vues les possibilités matérielles et physiques actuelles". Pour cela, il a notamment utilisé des logiciels de modélisation physique développés par l’université de Stanford.
Un carillon qui ne mange pas de pins

Une vue du prototype de l’horloge de 10 000 ans, exposé au Science Museum de Londres (DR)
Si elle a désormais ses carillons, l’horloge de 10 000 ans reste un projet... de long terme. "Nous avons pensé son fonctionnement, qui est à la fois mécanique et numérique, au sens où il se sert du 0 et du 1 binaire pour faire ses calculs, explique Alexander Rose, le directeur exécutif de la Fondation. Mais nous n’avons pas encore déterminé la forme exacte de l’horloge finale. Elle sera faite de pièces de pierre et de métal et fera au moins 12 mètres de haut, pour que les spectateurs puissent marcher à travers."
Pour placer son horloge monumentale, la Long Now Foundation a acquis, en 1999, un terrain dans les montagnes du Nevada. "Le site est est superbe et ses flancs sont couverts de pins Bristlecone, qui vivent jusqu’à 5 000 ans, la plus longue espérance de vie pour un arbre, s’enthousiasme Alexander Rose. C’est cohérent avec l’idée de faire de l’horloge une présence massive et belle, sans message particulier. Idéalement, une sorte de statue de la responsabilité..."
La Fondation dit oeuvrer contre le "court-termisme" et voudrait remplacer le couple "plus vite, moins cher" par une alliance de la lenteur et de la qualité. "Depuis que les mythes de l’an 2000 et de la nouvelle économie sont enfin tombés, nous pensons qu’il y a plus d’espace pour penser de façon plus durable. Mais, si la Suède et la Norvège nous semblent des exemples, il est vrai que de nombreux pays, où l’économie va moins bien, n’allouent pas beaucoup de ressources à des projets responsables ancrés dans un futur lointain", analyse Alexander Rose, qui pointe discrètement les Etats-Unis sans vouloir afficher d’opinions trop "marquées" et par définition "risquées", dans une logique de très long terme...
Plus c’est long, plus c’est bon !
En juillet, la Fondation lancera aussi en coopération avec Stanford la seconde phase de son projet de "Pierre de Rosette moderne". Sur ce prototype de disque en nickel, conçu pour conserver des informations pendant 10 000 ans, sont déjà gravées des phrases dans 1000 langues mais ses pères veulent élargir le projet pour répertorier et y archiver tous les langages possibles.
Par ailleurs, la Fondation travaille à un projet de serveur d’archives de très long terme, baptisé Ely Server. Prévu pour conserver des documents informatiques pendant plus de 100 000 ans, Ely Server utilisera des logiciels open source dédiés et du matériel informatique bas de gamme mais compte les faire collaborer comme un réseau peer-to-peer pour assurer une maintenance automatique et évolutive. La Long Now Foundation attend des financements de Stanford et de l’agence fédérale National Science Foundation pour cet automne.
Dans une semaine, toute l’équipe de la Long Now Foundation va se retrouver pour une retraite de 15 jours dans le Nevada. "Nous allons faire un travail de cartographie et d’étude de notre site. L’horloge devrait alors prendre une forme plus précise dans nos têtes, ainsi que les délais pour achever sa construction, annonce Alexander Rose. Certains membres de l’équipe croient à un développement sur quelques années. Je suis plus charmé par l’idée que sa construction soit menée sur plusieurs générations..."