La première édition française des Big Brother Awards se déroulera le 16 décembre à Paris lors d’une rencontre européenne des contre-cultures digitales. L’objectif : récompenser ceux qui se sont illustrés en matière de flicage...
Les Big Brothers Awards débarquent en France. Une bonne nouvelle pour ceux qui, à l’ère du tout numérique, prônent la vigilance en matière d’atteintes à la vie privée. Le concept des Big Brother Awards est simple : décerner un prix à " toute personne ou institution s’étant distinguée par son mépris ou sa négligence envers le droit fondamental à la protection de la sphère privée ou par sa promotion de la surveillance et du contrôle de personnes ou de groupes de personnes". Il s’agit donc de réveiller les consciences en sommeil. Au total, cinq catégories figurent au programme (Administration, Entreprise, Produits et réseaux, Localités, Prix Spécial du Jury). Le concept vient tout droit du Royaume-Uni, où la première édition des Big Brothers Awards remonte à 1998. Depuis, la grande fête anti-flicage s’est implantée aux ...tats-Unis, en Autriche, en Allemagne et en Suisse. Cette année, par exemple, les "BBA" allemands ont récompensé Hartmut Mehdorn, président du conseil d’administration de la Deutsche Bahn (la SNCF allemande) qui a fait installer des caméras de vidéosurveillance dans environ 42 gares du pays, avec 12 à 24 personnes pour scruter les images. En Suisse, dans la catégorie communication, c’est l’opérateur télécoms Swisscom qui a raflé la palme pour son système de repérage géographique de ses utilisateurs de téléphones mobiles. ( Lire "Des Awards pour Big Brothers" )
L’an prochain, les Pays-Bas et l’Australie célèbreront à leur tour leurs pirates de la vie privée préférés. À quand un palmarès international des Big Brothers Awards ?
Le Jury :
Parmi le jury de cette première édition française, on trouve Philippe Quéau, sociologue, Thierry Meyssan, militant associatif, Jean-Pierre Millet, avocat pénaliste, Daniel Naulleau, universitaire, militant associatif, Jean-Pierre Garnier, sociologue, Sébastien Canevet, universitaire, militant associatif, Martin Meissonnier, producteur, documentariste, Jean Guisnel, journaliste, Francis Mizio, écrivain, Aris Papatheodorou, militant associatif et Jerome Thorel, journaliste.
Interview de Jérôme Thorel
Jérôme Thorel est journaliste et membre de Privacy International, une organisation non gouvernementale anglaise à l’origine de la création des Big Brother Awards anglais. Il est membre du Jury des Big Brothers.
Quel est l’objectif de ces premiers Big Brother Awards français ?
Pas d’" objectif ", juste la volonté de personnifier pour une fois les diverses dérives de la surveillance et du profilage à outrance du citoyen. L’idée est aussi d’ouvrir le débat sur l’informatique en tant que " système d’arme ". Des armes non létales, donc politiquement correctes, mais qui s’avèrent aveugles et arbitraires dans certains cas.
Vos prix ne condamnent pas exclusivement des pratiques liées à Internet, mais de façon plus générale, les dérives des nouvelles technologies en matière de protection de la vie privée et de contrôle des citoyens...
Le risque de contrôle social de l’internaute, ici en France et dans nos pays à démocraties établies, est presque dérisoire. Se battre contre les cookies et le web anonyme est à la limite du snobisme, un luxe comparé aux autres formes furtives et diffuses de surveillance. Chez nous, Internet est encore un outil d’élite, alors que la surveillance est une tendance générale dans la société : la vidéosurveillance dans les lieux publics, le fichage de l’assuré social parce qu’il fait une demande de RMI, les banques qui dressent le profil des petits revenus. Sans parler des opposants politiques dans des dictatures, qui se font repérer dans une manif grâce une caméra thermique dernier cri et de leur ADN stockée à vie dans une base de données made in Europe ou USA.
Sur la Toile, les exemples de flicage et de volonté de contrôle ne manquent pas : surveillance des mails au travail ou logiciels de filtrage à la maison. Le Net est-il de plus en plus contrôlé ?
Bien sûr, ça devient même stupide de le répéter, l’Internet est une sorte de paroxysme de la surveillance : tout peut être scanné et archivé. Mais cela ne veut pas dire que le flicage y est plus dangereux. Il faut le répéter aussi : Internet permet aussi mieux faire circuler l’information, le citoyen peut jouer un rôle de contre-pouvoir jusqu’ici inexistant. Et enfin les Big Brothers en puissance n’ont jamais été aussi vulnérables sur la Toile que dans le reste de la société.
Selon vous, la technologie des sociétés européennes peut servir d’armes informatiques lorsqu’elle est diffusée dans des pays à liberté limitée ?
Je parlerai en général des grandes puissances, membres de l’OCDE par exemple. De grandes nations militaires et donc de très influents marchands d’armes. Aujourd’hui, la guerre c’est l’information et les armes sont électroniques. Il est donc logique de retrouver les mêmes larrons aux avant-postes de ce commerce inquiétant. Il est temps de dire que vendre des technologies de surveillance en Chine (où les mails sont surveillés allègrement) ou en Birmanie (où avoir un fax sans licence, c’est 15 ans de prison) doit obéir à d’autres règles que de vendre aux pays de l’Union européenne, en Suisse ou au Japon. Peut-être qu’un jour, ce type d’armes ou de systèmes intrusifs seront intégrés dans les traités de régulation des exportations de matériel policier ou militaire.
Comment se situe la France en matière de flicage de ses citoyens ?
Les lois et la Constitution assurent une protection théorique bien supérieure à celle d’autres pays démocratiques. Mais c’est précisément parce que la France se veut exemplaire en matière de libertés qu’il faut mettre dès maintenant toute dérive ou tout abus à l’index.