Berlusconi propose une résolution pour ficher les "fauteurs de trouble" européens
Les ONG et la délégation néerlandaise s’opposent à ce flicage en douce des altermondialistes
Le gouvernement italien a déposé fin juin un projet de résolution auprès du Conseil de l’Union européenne pour renforcer la sécurité des sommets réunissant des chefs d’Etat. Le texte réclame une plus grande coopération entre les pays membres, notamment le transfert d’informations concernant les "fauteurs de troubles" potentiels afin que ceux-ci puissent être interceptés à la frontière. Des dispositions que critiquent le gouvernement néerlandais ainsi que des associations de défense des libertés comme l’ONG Statewatch.
Le 30 juin dernier, à la veille de prendre la présidence du Conseil de l’Union européenne, le gouvernement de Silvio Berlusconi a adressé au groupe de travail sur la coopération policière du Conseil de l’Union européenne un projet de résolution sur la "sécurité des sommets européens et autres évènements similaires".
"Les perturbations rencontrées lors de certains sommets européens et internationaux ont montré le besoin d’une plus grande coopération et coordination entre les autorités policières à un niveau européen et international", indique, en préambule, le texte.
Après Göteborg et Gênes
L’idée de vouloir empêcher militants et individus de participer aux contre-sommets et manifestations n’est pas nouvelle. Selon Statewatch, une ONG de défense des libertés individuelles basée à Londres qui révèle cette affaire, les Quinze cherchent depuis 2001 à renforcer la coopération policière en ce domaine.
Après les incidents de Göteborg et le drame de Gênes en juillet 2001, où un jeune manifestant, Carlo Guiliani, avait été tué par un policier italien, les gouvernements européens ont notamment étudié le projet d’une base de données européenne de supposés "fauteurs de troubles". L’intégration de fichiers spécifiques concernant les militants altermondialistes dans le Système d’information Schengen, créé pour lutter contre l’immigration clandestine et les trafics transfrontaliers, est toujours officiellement à l’étude.
Pour sécuriser les rencontres semestrielles du Conseil de l’Union européenne, il a également été décidé que celles-ci se tiendraient désormais à Bruxelles, les autres sommets continuant à être accueillis par le pays occupant la présidence de l’Union européenne.
Plus de contrôles, plus ciblés
En pratique, les pays hôtes de sommets ont surtout eu recours à l’article 2.2 de la Convention de Schengen, qui permet de suspendre temporairement la liberté de circulation et de réintroduire des contrôles de police aux frontières. Ces deux dernières années, selon Statewatch, les pays membres de l’UE auraient utilisé au moins 26 fois cette mesure, la plupart du temps à l’occasion d’un sommet international.
Mais "le manque d’inforrmations et de mises en garde concernant des fauteurs de troubles identifiés provenant d’un autre pays a réduit l’efficacité potentielle de cette mesure", explique le texte italien, pour qui ces contrôles systématiques ont surtout produit au "blocage de la frontière, avec les problèmes d’ordre public et d’entorses au principe de libre circulation qui en résultent".
Le projet de résolution en neuf points donne donc la préférence aux "contrôles ciblés sur les individus supposés vouloir entrer dans le pays avec le but de perturber l’ordre public et la sécurité" lors du sommet.
Formulation vague
"Pour faciliter la tâche du pays hôte dans la conduite des contrôles ciblés sur les voyageurs, les états membres doivent fournir toute information pertinente permettant d’identifier les individus connus pour avoir causé des perturbations dans des circonstances similaires", indique la proposition italienne. Le texte ajoute que, "lorsque la législation nationale le permet", ces informations devraient inclure "le nom d’individus ayant été condamnés pour troubles à l’ordre public lors de manifestations et autres évènements".
Selon Statewatch, la formulation est assez vague pour permettre tout et n’importe quoi. "Etre connu" ("with a record", en anglais) peut en effet simplement signifier que le nom d’une personne a été mentionné dans un rapport de police, des Renseignements généraux, par exemple.
"Si cette proposition est mise en place, elle légitimera la surveillance permanente par la police politique de toute personne ou groupe dont elle pense qu’elle pourrait se rendre dans un autre pays européen pour prendre part à une manifestation concernant des questions aussi diverses que le racisme ou l’environnement, la mondialisation ou la paix", estime, dans, un communiqué, Tony Bunyan, l’un des responsables de Statewatch.
Pour désamorcer les critiques, la présidence italienne a naturellement tenté de border son texte légalement. Il est ainsi prévu que les informations transmises ne soient conservées que jusqu’à la fin du sommet et que leur communication à un pays tiers doive respecter les législations nationales et internationales en matière de protection des données personnelles.
Passer par les parlements
Ces précautions n’ont visiblement pas convaincu le gouvernement néerlandais. Datée du 25 août, une note adressée au même groupe de travail sur la coopération policière critique séchement, mais en termes diplomatiques, la proposition italienne.
Tout d’abord, les Néerlandais estiment que pour "des recommandations aussi précises et spécifiques", le choix d’une résolution, "un texte avant tout politique et non contraignant" est inapproprié. Selon eux, mieux vaut choisir un autre type de texte, plus "formel et contraignant" pour les états membres. Une option qui pour Statewatch aurait l’avantage de requérir la consultation des parlements nationaux et européens.
Précautions nécessaires
La note rappelle ensuite que le retour des contrôles aux frontières sont "une exception à la règle" et que "le refus d’entrée ou l’expulsion de personnes ne sont possibles que dans des situations spéciales". Il est donc nécessaire, selon les Néerlandais, de mieux préciser quels critères d’ordre public permettent de justifier ces mesures. Dans ce domaine, même une condamnation antérieure "ne constitue pas en elle-même une justification suffisante pour prendre des mesures dans le contexte d’ordre public ou de sécurité publique", selon la note.
Enfin, les Néerlandais font part dans leur note d’inquiétudes en matière de respect de la vie privée et de protection des données personnelles. "Si la résolution proposée [par la présidence italienne] suggère d’inclure les informations mentionnées dans une liste commune dans l’intérêt de l’ordre public, des précautions sont nécessaires." Le texte porté par Berlusconi, mis en cause pour sa gestion du sommet de Gênes au cours duquel de nombreux ressortissants d’autres pays européens ont fait l’objet de traitements abusifs, semble loin d’offrir les garanties suffisantes.