Raïd Fahmi est représentant en France du Parti communiste irakien (PCI),
principale formation d’opposition de gauche au régime de Saddam Hussein, et
rédacteur en chef de la revue culturelle irakienne Al Thakafa Al Jadida (La
nouvelle culture), disponible dans les librairies arabes et bientôt en
ligne.
En tant qu’exilé irakien, comment communiquez-vous avec les membres de la diaspora ? Internet vous est-il utile ?
Nous sommes quelque quatre millions d’Irakiens en exil à travers le monde et,
vu notre situation particulière, Internet est pour nous un outil indispensable. Plus précisément, pour tous les partis politiques qui
s’opposent à Saddam depuis l’étranger, le Web permet d’établir des liens
actifs et durables avec les exilés. Les échanges, que ce soit en termes
d’information pure ou de discussions à travers des forums, ont atteint un
niveau inimaginable il y a quelques années. Spontanément, je dirais
qu’Internet est un formidable outil de démocratisation. Mais attention, dans
les mains d’un dictateur, il devient un formidable outil de désinformation.
Si nous avons profité de l’avancée des nouvelles technologies, Saddam aussi.
Concrètement, comment utilisez-vous Internet dans vos activités militantes ?
En tant que représentant du Parti communiste irakien, j’anime une
mailing-list, postée à environ 4 000 interlocuteurs en Europe :
parlementaires, responsables de partis politiques, intellectuels,
personnalités diverses. Avec de bons résultats, puisque dans l’ensemble les
abonnements sont renouvelés. Nous leur apportons, je pense, une information
complémentaire sur l’Irak qui n’existait pas il y a 10 ans. Par ailleurs,
notre parti envoie aux journaux de Bagdad, aux ministères, aux institutions
et à l’armée irakienne de nombreux mails pour les informer de ce qui se
passe réellement à l’intérieur du pays. Beaucoup ne veulent évidemment pas
les publier ou les relayer, les autres ne le peuvent tout simplement pas.
Mais au moins, ces informations sont lues. Nous sensibilisons, nous
préparons les esprits à l’après-Saddam.
En outre, en tant que rédacteur en chef de la revue culturelle irakienne Al
Khatafa Al Jadida, j’utilise internet pour coordonner une rédaction éclatée
entre 5 pays (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, France et Kurdistan). Nous
n’avons pas le temps et les moyens financiers de tenir des réunions
régulières. Nous préparons donc les sommaires à distance, peut-être même
avec plus d’efficacité qu’en conditions normales !
Internet permet-il de recueillir des informations sur la
situation dans le pays ?
Le Web est totalement verrouillé par le régime et tous les mails envoyés sont
surveillés par les services de renseignement de Saddam. Nos informateurs ne
prennent donc pas le risque d’utiliser Internet sur place. Pour nous faire
parvenir des infos, ils doivent quitter le pays clandestinement et se
connecter depuis la Jordanie ou le Kurdistan, principal centre névralgique
de l’opposition. De toute façon, les points d’accès sont rares en Irak. Il y a bien quelques cybercafés à Bagdad, mais posséder un micro-ordinateur reste un privilège réservé aux informaticiens et à quelques
fonctionnaires. Malgré tout, dans les 3 ou 4 premiers jours du conflit, les
exilés ont reçu beaucoup de témoignages de proches, par mail ou par
téléphone, témoignages qui racontaient les difficultés de la vie quotidienne
sous les bombes, les effets de la guerre sur les familles, les enfants...
Mais par prudence, tous évitaient les commentaires de nature politique ! En
revanche, depuis que les lignes téléphoniques sont coupées dans les
principales villes irakiennes, nous n’avons plus le moindre contact. Et les
exilés sont sans nouvelles de leur famille.
Tous médias confondus, comment jugez-vous les informations dont vous
disposez à l’heure actuelle ?
Les contacts avec les proches qui vivent en Irak sont essentiels pour
apprécier la situation. Un exemple : la question cruciale aujourd’hui est de
savoir qui participe aux opérations du côté irakien : Les militaires
seulement ou les civils aussi ? Or, vous ne pouvez pas répondre à cette
question en vous contentant de regarder les journaux télévisés. Pour
l’instant, nous pensons que la résistance armée se limite aux milices du
régime, mais, en raison des bavures américaines qui se multiplient, nous
craignons que la résistance devienne demain populaire et qu’elle renforce le
régime en place.
Sinon , je vois bien que les journalistes ont tiré des leçons de la première
guerre du Golfe et qu’ils essaient d’être prudents dans le traitement de
l’information. Mais en étant otages des images qu’elles diffusent, les
chaînes relaient malgré elles la propagande, quelle soit américaine ou
irakienne. Al-Jazeera, dont on parle beaucoup, ne s’en sort pas mieux.
L’information y est tendancieuse puisque les journalistes arabes qui
couvrent l’Irak ont été choisis en accord avec le régime de Bagdad. Vous voyez par exemple des images de foules qui crient "Vive
Saddam !", mais vous ne verrez jamais tous ceux qui n’oseront jamais
s’exprimer tant qu’ils n’auront pas la certitude que le régime est mort.
Comment montrer ce qui n’est pas visible ? C’est toute la difficulté pour
les journalistes. Il faut être capable d’une grande finesse dans
l’interprétation des images.