Pour l’enseignant animateur du Réseau des bahuts, la lutte sur le Net ne fait que commencer
La mobilisation contre la réforme des retraites et le projet de décentralisation concernant certains personnels de l’Education nationale ne faiblit pas : mardi 27 mai, plusieurs centaines de milliers de personnes sont de nouveau descendues dans la rue. Depuis le début du mouvement, un site internet, le Réseau des bahuts, joue un rôle crucial dans l’information des grévistes en Ile-de-France. Appels à la grève, compte-rendus d’assemblées générales, contributions, revues de presse, affiches et tracts à télécharger... Serge Chamelot, professeur de sciences physiques en Seine Saint-Denis (93) et animateur du Réseau, revient sur deux mois de lutte.
Comment est née l’idée du réseau des bahuts ?
Serge Chamelot : On a commencé à y réfléchir avant le début des vacances de printemps. Il y avait quelques établissements en grève en Seine-Saint-Denis. Les syndicats, qui disposent de moyen logistiques plus importants que les nôtres, ne s’étaient pas encore vraiment engagés dans la lutte. Et à cette époque, on ne trouvait rien dans les médias sur les grèves. A la Réunion, 20 000 personnes manifestaient et personne n’en parlait !
Il nous fallait un endroit où l’on puisse savoir ce qui se passait dans les autres établissements du 93. On a donc décidé de lancer une liste de discussion puis j’ai passé les vacances à monter le site, en récupérant des informations sur les sites des autres départements. Le 22 avril, on a présenté le site à l’assemblée générale des établissements en lutte du 93. Peu à peu le site a été utilisé assez naturellement par l’AG Ile de France, puis finalement par la Coordination nationale. Le Réseau des bahuts référence beaucoup de liens vers les sites de mobilisation des départements de province et on a créé une liste de diffusion pour chaque AG départementale d’Ile de France.
Quel est votre mode de fonctionnement ?
Six personnes possèdent les codes d’accès pour publier. J’en connaissais quelques-uns et j’ai rencontré les autres durant le mouvement, à l’occasion d’AG ou de réunions. On a développé un réseau de correspondants dans les autres départements d’Ile-de-France pour faire remonter une information fiable et régulière. On ne se voit jamais, mais tant qu’il n’y a pas de réaction négative à ce que l’on publie, c’est qu’il n’y a pas de problème. Chaque personne qui vient sur le site peut aussi poster une contribution.
Ça fait pas mal de boulot. On reçoit environ 150 mails par jour, entre les listes de diffusion et la boîte mail du site. Des propositions d’action, des réflexions sur le mouvement ou sur les réformes. Depuis le 17 mai, 55 000 personnes ont visité la page d’accueil, soit à peu près 7000 visiteurs par jour. Le compteur de Spip (outil de publication libre notamment utilisé par Transfert, NDLR) n’a pas tenu le coup...
Comment voyez-vous votre rôle dans la grève ?
Plutôt positif, d’après les retours que nous avons. Au début, les gens venaient pour voir l’état de la mobilisation dans les départements mais ça a changé. La partie "état de la grève" ne pèse plus que pour 40 % du trafic tandis que les débats, les accessoires à télécharger et les idées pour l’action sont montés en puissance. C’est normal, les grands médias donnent des informations sur le mouvement, on n’a donc plus besoin de se rassurer. D’autres listes ou sites se sont montés au Havre, à Bordeaux... Un collègue de la Réunion a même monté le site Mouvements.net, qui traite de l’ensemble de la mobilisation contre la réforme des retraites.
Vous comptez continuer votre action ?
En lançant le site, j’avais annoncé qu’on le maintiendrait après la fin du mouvement, en prévision des suivants. C’est pour cela qu’il ne s’appelle pas bahutsengreve mais reseaudesbahuts. On veut être un forum, une chambre d’écho pour faire remonter des propositions aux syndicats et au ministère, pas simplement gueuler contre les projets de réforme. Je ne suis pas pour le statu quo dans l’Education nationale. On a tous des idéees sur les changements à mener. On ne sera pas forcément d’accord mais au moins, cela permettra de poursuivre la discussion.
En 1998, lors des grèves en Seine-Saint-Denis, où les personnels avaient finalement obtenu gain de cause, on avait déjà monté un site pour les états généraux du droit à l’éducation, mais on l’a arrêté en 2000. Internet n’était pas aussi présent dans la vie des gens. Aujourd’hui, la technologie permet de poursuivre le mouvement de chez soi, de se réunir à distance. Bien sûr, pour mener une lutte, on ne peut se contenter de rester derrière son ordinateur, il faut aussi se mobiliser dans les établissemments, manifester dans la rue... Mais internet offre quand même des possibilités inédites. Il y a dix ans, jamais un simple prof comme moi n’aurait pu monter, à peu de frais, quelque chose d’équivalent au Réseau des bahuts. Maintenant, il faut valoriser ce type d’initiative.
Le site du Réseau des bahuts:
http://reseaudesbahuts.lautre.net
Le site de Mouvements, contre la réforme des retraites:
http://www.mouvements.net