Attaqué par Lorie, le moteur Voila est jugé non responsable des sites qu’il référence
Le 12 mai, le vice-président au tribunal de grande instance de Paris a donné raison à Wanadoo dans l’affaire qui l’opposait à la chanteuse Lorie. Le juge a estimé que Wanadoo n’était pas responsable du lien tissé par le moteur de recherche de sa filiale Voila vers le site Lorienue et ses photomontages osés, jugés litigieux par la chanteuse. L’affaire fait rebondir le débat qui divise partisans et opposants de la responsabilité des moteurs de recherche, des acteurs essentiels sur internet qui ne figurent pas dans les textes législatifs encadrant la vie du Réseau.
Lorie, vingt ans, en paraît à peine seize. Look sage, paroles politiquement correctes, la chanteuse a su séduire un grand nombre de fillettes âgées de 6 à 10 ans en rassurant leur maman. "Elle précise avoir toujours souhaité garder la parfaite maîtrise de son image (...) et fait valoir qu’elle n’entend pas se départir d’une conduite faite de pudeur, de discrétion et de respect", peut-on lire dans l’ordonnance de référé qui l’oppose à Wanadoo. Depuis le 2 mai, Lorienue n’est plus référencé sur Voila et a été retiré d’internet.
Lorie est une habituée du web. C’est en effet après avoir mis un de ses morceaux en écoute sur un site musical que Sony Music, impressionné par les 150 00 clics générés par sa chanson, lui a proposé de signer un contrat.
Cachez ce lien
Le 28 avril 2003, Lorie a assigné Wanadoo, ainsi que l’auteur du site Lorienue, en référé. Elle souhaitait que Voila (qui appartient à Wanadoo Portails) retire le lien qui pointait vers ce site sur lequel figurait "un photomontage de son visage reconnaissable sur le corps d’une jeune fille entièrement nue, dans une position très suggestive, sous le titre ’Découvrez les photos secrètes de Lorie toute nue !’. La demande de retrait était asssortie d’une astreinte de 10 000 euros par jour de retard, et Lorie réclamait 100 000 euros à Wanadoo à titre de dommages et intérêts.
Porter plainte contre un moteur de recherche est une démarche assez rare. "C’est de bonne guerre, il s’agit d’attaquer les personnes qui sont solvables" explique Lionel Thoumyre, un juriste membre du Forum des Droits de l’Internet et éditeur du site Juriscom. Un argument réfuté par les défenseurs de la chanteuse qui, très prude, se serait montrée très "choquée" par ces images.
Le précédent du matelas
En déclarant que Wanadoo Portails n’était pas responsable, et en condamnant Lorie à verser 1500 euros aux dépens, le vice-président au tribunal de grande instance de Paris s’est appuyé sur la décision de la Cour d’appel de Paris du 15 mai 2002. Ce jugement donnait raison à Altavista contre la société Matelsom. L’entreprise spécialisée dans la literie reprochait à Altavista de renvoyer ses visiteurs vers le site d’un de ses concurrents, Litreritel, qui avait contrefait le site de Matelsom.
"Les moteurs de recherche ne figurent ni dans les lois actuelles relatives à internet, ni dans la directive européenne du 8 juin 2000 relative aux services de la société de l’information, actuellement en cours de transposition. Les juges s’appuient donc sur le droit commun et plus particulièrement sur cet arrêt du 15 mai 2002, qui fait jurisprudence", note Lionel Thoumyre, responsable du groupe de travail au Forum des droits de l’internet chargé d’émettre des recommandations sur les implications juridiques des liens hypertextes.
A l’heure où le projet de loi pour la confiance dans l’Economie numérique (LEN), qui oblige les hébergeurs à couper d’eux-mêmes l’accès à tout contenu potentiellement préjudiciable passe devant le Sénat, la non-responsabilité des moteurs de recherche vis-à-vis du contenu des sites vers lesquels ils pointent pourrait-elle être remise en cause ?
Vers un bridage des moteurs ?
Pour les défenseurs de Lorie, la responsabilité des moteurs de recherche en matière d’atteinte à la vie privée semble évidente, et le droit commun ne saurait suffire à empêcher l’accès à des sites qu’ils jugent litigieux. Surtout quand il s’agit de personnalités publiques : les partisans d’un renforcement de la loi vis-à-vis de la responsabilité des moteurs arguent en effet que les internautes qui cherchent des informations sur leurs idoles passent souvent par les sites de recherche.
"Ils font peut-être figure de grands oubliés de la législation sur internet mais cette situation changera peut-être avec la transposition de la directive européenne du 8 juin 2000", espère un des avocats de Lorie.
De leur côté, les responsables de moteurs de recherche ne peuvent, ni ne souhaitent, surveiller le contenu de tous les sites qu’ils référencent de façon systématique, selon Lionel Thoumyre. "D’une part, parce qu’il s’agirait d’une forme de justice privée. Or, les exploitants de moteurs de recherche sont tout à fait prêts à couper l’accès d’un site, à condition que la demande provienne d’une instance légitime, telle qu’un juge par exemple. D’autre part, les tenir pour responsables reviendrait à remettre en question les bases mêmes d’internet : dans ce cas, tous les éditeurs qui installent un hyperlien sur leur site seraient également responsables du contenu du site vers lequel ils renvoient leurs visiteurs".
En l’absence de lois encadrant les moteurs de recherche, Lionel Thoumyre estime qu’intenter une action en justice contre eux est une démarche inutile : "D’une part parce qu’il existe de nombreux moteurs de recherche et qu’un lien disparaisssant d’un moteur peut rester sur un autre. Et d’autre part parce que, quand on veut attaquer un site, il y a un ordre à respecter dans l’échelle des responsabilités : l’auteur du site, l’hébergeur et, en dernier lieu, le moteur de recherche. C’est une question de bon sens".