Comment lancer un débat bioéthique à coup de culture de peau et d’injection de sang de panda
Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin présentent à l’exposition Art biotech, au Lieu Unique de Nantes, des cultures de leurs propres peaux affublées de tatouages animaliers et baignant dans des bocaux de formol. Le duo d’artistes, baptisé Art orienté objet, veut ainsi disséquer les enjeux de la manipulation d’êtres vivants, humains ou animaux, par la société moderne.

Echantillon de peau hybride avec papillon tatoué (DR)
Pour mener à bien leur projet, les duettistes disent avoir adopté une démarche scientifique et technique. Ils ont tout d’abord intégré une cohorte de 15 000 individus, enrôlés à Framingham (Etats-Unis) dans un programme de recherche lié au célèbre Massachussets Institute of Technology (MIT). "Puis, par le biais de groupes anti-vivisection, nous avons pu nous faire intégrer comme cobayes humains dans un laboratoire de production de peau. Nous avons accepté de prêter nos propres peaux, en échange du droit de rapporter en France les éléments de ces expériences", raconte Marion Laval-Jeantet.
Cochon ionisé
Les chercheurs ont prélevé 3 à 5 millimètres carrés de l’épiderme des artistes -"une opération pas tout à fait indolore"- pour les déposer sur du derme de cochon stérilisé et ionisé, et les cultiver dans un bain d’acides aminés. Une vingtaine d’étapes plus tard, les Art orienté objet se sont livrés à une séance de tatouages animaliers, "greffant" sur les hybrides de peaux, un colibri, un papillon ou une araignée, victimes potentielles ou réelles d’expérimentations humaines.
"Nous sommes dans une logique d’analyse critique mais ne prenons pas forcément partie. Notre idée est de sortir de l’abstraction des discours de laboratoires en présentant au public des éléments concrets, donc marquants, prévient Marion Laval-Jeantet. Le public est choqué de voir des hybrides de nos peaux ainsi exposés. Mais en réalité ce qui choque n’est pas tant la culture - même hybride - de peau, que le fait d’imaginer le monde qui va avec ce genre de technique." Enrôler des humains pour jouer les cobayes de laboratoires à la place d’animaux n’est-il pas un prélude à d’autres techniques ? Celles-ci mettront-elles en cause la notion de barrière entre espèces ? Sont-elles forcément inévitables ou réellement inquiétantes ?
Sang de panda et corde raide
Art orienté objet, qui revendique une forme de label "science fiction", compte poursuivre l’exploration de la relation humain-animal. Marion Laval-Jeantet prépare une action baptisée "Que le panda vive en moi", au cours de laquelle elle s’injectera du sang de panda rendu compatible, façon brutale d’instaurer un débat sur les barrières entre espèces et sur la supériorité de l’humain sur l’animal.
Avant que la panda "vive en eux", les artistes devraont surmonter de nombreux obstacles administratifs et éthiques. Art orienté objet envisage même de réaliser cette opération hors du territoire français. D’un point de vue technique "des inconnues subsistent", reconnaît Marion Laval-Jeantet. "Mais c’est aussi une façon de nous engager fortement. En touchant à l’émotionnel, nous parlons au fantasmatique, nous suscitons une réflexion nécessaire. Car aujourd’hui l’homme marche sur une corde raide d’un point de vue éthique. Tout l’art consiste à emprunter cette même corde sans tomber."
Le site d’Art orienté objet:
http://artorienteobjet.free.fr
Leur expo au Lieu unique:
http://www.lelieuunique.com/SAISON/...
Dossier Art Biotech: des labos aux expos (Transfert.net):
http://www.transfert.net/d52