L’accélérateur de particules américain RHIC pourrait-il créer de la "matière étrange" capable d’anéantir la planète ? Un chercheur de l’université de Cambridge pointe des négligences dans l’évaluation du risque par les physiciens.
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La polémique remonte à mars 1999. Le théoricien Frank Wilczek notait alors que l’accélérateur de particules RHIC (Relativistic Heavy Ion Collider) du laboratoire national américain Brookhaven (Long Island), alors en construction, serait en mesure de créer de la "matière étrange". Un mélange très particulier de quarks "classiques" (qui composent les protons et les neutrons) et de quarks "étranges" (que l’on trouve dans des particules élémentaires instables comme les kaons). Problème : si leur état était stable, ces agglomérats de matière étrange (ou strangelets) pourraient croître en absorbant la matière ordinaire, et engloutir ainsi toute la planète...
Principe de précaution
Le directeur de Brookhaven convoque alors des experts, dont Frank Wilczek, pour évaluer les risques. Deux rapports concordants établissent alors qu’il n’y a rien à craindre. Le premier note que les rayonnements cosmiques sur la lune peuvent créer des strangelets et qu’après plusieurs milliards d’années, la lune est toujours là. Le second argue que, malgré de nombreuses collisions d’ions lourds dans l’espace, susceptibles de créer des strangelets et donc de faire exploser les étoiles en les transformant en supernovae, on observe à peine quelques poignées de supernovae par galaxie et par millénaire. Le débat semble clos : les scientifiques ont prudemment évalué les risques, on peut leur faire confiance...
C’était sans compter Adrian Kent : alors que le RHIC est désormais en service (depuis le 10 juin 2000), ce chercheur de l’université de Cambridge (Grande-Bretagne) vient de remettre en cause les deux rapports d’experts dans un article scientifique. Il remarque notamment que ces derniers tolèrent des "probabilités de catastrophes" supérieures aux limites communément admises. Les deux rapports annoncent en effet des probabilités comprises entre 2 "chances" sur 100 000 et 2 "chances" sur 100 milliards. Or, selon Adrian Kent, une probabilité inférieure à 1 "chance" sur 1 million de milliards est indispensable, si l’on se réfère à la politique de protection contre les radiations en vigueur en Grande-Bretagne. La question est donc : à partir de quand peut-on considérer que le risque est nul ?
Les scientifiques sereins
Dans son article, Adrian Kent conclut que les calculs de risques de catastrophes sont généralement sous-estimés en physique, et il espère que, dans le futur, cette question sera considérée avec plus d’attention. Mais pas de panique en ce qui concerne la fin de la planète. Le physicien du Cern (Laboratoire européen pour la physique des particules, Genève) Alvaro De Rujula explique : "Il n’y a pas de risque. Dans cette étude, il ne s’agit pas d’estimer les risques, mais plutôt d’expliquer combien l’idée d’estimation de risques est tirée par les cheveux." Tiziano Camporesi, également chercheur au Cern, confie : "Ça me rappelle ce débat en Italie au début du siècle lors de la mise en service du premier train entre Naples et Amalfi. Parce qu’il roulait à 35 km/h, il y a eu un certain nombre d’articles "démontrant" que l’air serait expulsé du train et que les passagers allaient mourir asphyxiés."
L’article scientifique d’Adrian Kent.
http://arxiv.org/abs/hep-ph/0009204
L’accélérateur de particules RHIC du laboratoire national américain Brookhaven
http://www.rhic.bnl.gov/