Le journaliste satirique marocain publie en ligne le journal de sa grève de la faim
Ali Lmrabet, directeur des magazines satiriques marocains Demain et Doumane, entame aujourd’hui son onzième jour de grève de la faim. Il publie sur son site de soutien un "journal de gréviste", tandis qu’il attend le verdict de son procès pour "outrage à la personne du roi", "atteinte au régime monarchique" et "atteinte à l’intégrité territoriale", qui doit être rendu le 21 mai prochain. Lmrabet risque cinq ans de prison ferme et 10 000 euros d’amende pour avoir publié des articles jugés diffamatoires envers la personne du roi Mohammed VI.
Ali Lmrabet annonce à Transfert : "Je fais grève contre ce procès politique. Et jusqu’au bout !" Dans son journal de gréviste, repris notamment sur le site de Samizdat, le journaliste écrit : "Je crois que le pouvoir veut faire de moi un exemple. Créer un précédent d’une publication indépendante qu’il casse."
Jugé "au nom du roi"
Le crime de Lmrabet : avoir publié un dessin et un photomontage caricaturant le pouvoir ainsi qu’un article affirmant que l’une des propriétés royales, le palais de Skhirat, était en vente. En novembre 2001, il a déjà été condamné pour ces faits en première instance à quatre mois de prison ferme et à une amende de 3000 euros. Cette fois, Lmrabet est jugé par un tribunal qui se prononce "au nom du roi".
Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières, met en doute l’impartialité de ce tribunal. "Comment ne pas suspecter de partialité un jugement rendu par des magistrats dont l’avenir professionnel dépend du Conseil supérieur de la magistrature présidé par... le roi ?", demande-t-il dans un communiqué publié le 13 mai.
Harcèlement
Le 6 mai dernier, Lmrabet a mis les employés de ses journaux au chômage technique, en même temps qu’il entamait sa grève de la faim. Depuis sa première condamnation en novembre 2001, le directeur de Demain et Doumane se dit harcelé. Pas moins de quarante journalistes d’un journal proche du pouvoir, Al Ahdath al Maghribiya, ont porté plainte contre lui. Ils s’étaient sentis insultés par une caricature publiée dans Doumane. En avril dernier, c’est le coup de grâce : Eco-Print, l’imprimerie des magazines satiriques, annonce son refus de continuer à travailler pour Lmrabet. Selon ce dernier, Eco-Print subit de vives pressions de la part du pouvoir.
Quelques jours avant le début du procès, le gouvernement marocain multiplie les signes d’apaisement : les plaintes des journalistes d’Al Ahdath sont retirées, Lmrabet est à nouveau autorisé à quitter le Maroc. On lui trouve même un nouvel imprimeur.
Une "tête brûlée" ?
Mais Ali Lmrabet est déterminé à ne pas transiger. "Ils voulaient m’épuiser, ils y sont arrivés", déclare le rédacteur en chef. Il accuse : "Nous avons découvert lors du procès que le ministre de la Justice, le socialiste Mohamed Bouzoubaâ, avait ordonné mon arrestation avant que le juge ne se prononce sur l’affaire. Ce qui est une preuve que des instructions ont été données en haut lieu."
Habitué à ce que ses pressions suffisent à calmer les opposants, le pouvoir fait aujourd’hui face à un homme que beaucoup au Maroc considèrent comme une tête brûlée. A l’instar de Tel Quel, même des journaux progressistes rechignent à soutenir Lmrabet. Dans sa dernière édition, le directeur de Tel Quel écrit : "Voilà une équation impossible à résoudre. D’un côté, un pouvoir effrayé de voir tomber les tabous trop vite (...) De l’autre, un journaliste volontiers candidat au martyre." Et d’ajouter : "L’heure n’est peut être pas encore mûre pour caricaturer le roi, même allégoriquement."
Céder ou creuver...
Lmrabet se dit très inquiet pour son sort. Il considère sa grève de la faim comme une solution "désespérée", qui ne lui laisse finalement "aucune option". Dans le journal de sa grève de la faim, il écrit : "Tu cèdes ou tu crèves, tel est le leitmotiv que le pouvoir marmonne dans ses palais".
Le journaliste refuse d’admettre qu’il a pu aller trop loin. Il interroge : "Franchement, croyez-vous que deux publications satiriques sont à ce point dangereuses pour mettre en danger une monarchie tricentenaire ?" C’est à cette dernière qu’il appartient maintenant de répondre.