Marie-Claude Beaudeau, sénatrice du Parti communiste, a récemment demandé l’ouverture d’une enquête parlementaire sur l’avenir de Gemplus, le fleuron technologique français, leader mondial de la carte à puce (voir notre article). Axel Mandl, le Chief Executive Officer (PDG) de Gemplus International, ayant des relations étroites avec le monde du renseignement américain, la sénatrice, comme d’autres, s’inquiète d’une éventuelle perte de contrôle sur "les brevets français". Mais le coeur de "l’affaire Gemplus" semble plus à chercher du côté des suppressions d’emploi et de l’évasion fiscale.
"Tout cela a commencé avec les plans de licenciements. C’est comme cela que nous avons été amenés à nous pencher sur l’aspect fuite de technologie", explique la sénatrice communiste.
Gemplus, dont le fonds d’investissement américain Texas Pacific Group a pris le contrôle en 2000, a mis en place deux plans sociaux (2200 emplois, dont 800 en France). Un troisième plan serait en route, prévoyant 320 nouveaux licenciements.
Depuis août 2002 le leader mondial de la carte à puces est dirigé par Alex Mandl, qui est aussi administrateur d’In-Q-Tel, un fonds d’investissement privé intégralement financé par la CIA.
Peu de brevets stratéqiques
Interrogé sur le risque d’une fuite des brevets, un observateur du marché, qui requiert l’anonymat, reste prudent : "La démarche souverainiste m’amuse un peu. Il faut savoir que Gemplus produit bien plus de cartes bas de gamme comme des cartes téléphoniques ou des cartes SIM pour les portables que de cartes hyper sécurisées. De plus, bon nombre de brevets importants étaient aux mains de Bull CP8 et non pas de Gemplus."
Par contre, au sujet des soupçons d’irrégularités dans la gestion de Gemplus, l’observateur affirme : "Tout le monde sait qu’il y a eu des malversations". Marie-Claude Beaudeau avait déjà plusieurs fois attiré l’attention des sénateurs sur les allégations d’évasion fiscale attribuées à la société Gemplus.
Pour notre interlocuteur, l’affaire Gemplus serait l’illustration de dérives classiques, plutôt qu’une mise en cause directe de l’indépendance technologique de la France : "Soyons pragmatiques... Tout cela n’est qu’une bête application du capitalisme sauvage : une boîte fait des erreurs de gestion ou des malversations, il y a de l’évasion fiscale -pardon, de l’optimisation fiscale-, elle périclite. Il y a des plans de licenciements, une reprise par une société étrangère. Rien que de très banal... On peut y ajouter le fait que la technologie s’envole vers d’autres cieux, mais je ne suis pas certain que cela soit le plus important."
Manipulation à l’ancienne
Déjà en 2002, peu avant le Conseil d’administration qui avait marqué le départ du fondateur Marc Lassus, quelques personnes avaient volontairement poussé des journalistes à se focaliser sur le problème des brevets. Cette tentative de manipulation rappelle aux spécialistes la Maskirovka, une technique similaire chère aux employés des services soviétiques du KGB, qui consiste à créer un écran de fumée pour attirer l’attention et servir de paravent à une autre action. Aujourd’hui, on évoque une main-mise de la CIA et de la NSA, les deux principales agences de renseignement américaines.
Il existe un précédent : Certplus, le leader français de la certification, racheté par Verisign, un grand groupe lui aussi proche des services secrets américains. Mais là encore, Certplus était sur un marché, l’authentification des parties dans un environnement électronique (notamment pour la conclusion de contrats en ligne), assez peu rentable. "L’intérêt n’est pas tant dans la technologie que l’on achète ou les backdoors (porte dérobées dans les logiciels sécurisés, NDLR) que l’on pourrait placer, mais dans le contenu des bases de données", précise notre spécialiste de ce marché. Les listes de fichiers, notamment de clients, sont en effet un enjeu pour le renseignement économique.
Quoi qu’il en soit, la Commission des finances du Sénat nommera prochainement un rapporteur. Il appartiendra ensuite aux présidents de commissions de déterminer si l’enquête parlementaire sur Gemplus doit être ouverte ou non.
Le fait que le Tribunal de commerce ait été saisi le 10 mars 2003 par le comité d’entreprise de Gemplus pour examiner d’éventuelles erreurs de gestion risque de peser sur la décision. En effet, il est fréquent que le Parlement attende la fin des procédures judiciaires avant de se lancer lui-même dans une enquête.
Les sénateurs communistes demandent une enquête parlementaire sur Gemplus (Transfert.net):
http://www.transfert.net/a8708
Le site de Gemplus:
http://www.gemplus.com
Société Gemplus-SA et avenir en France des technologies de cryptographie et des cartes à puce:
http://www.senat.fr/leg/ppr002-261.html
Le site de la Commission des Finances:
http://www.senat.fr/commission/fin/