

15/01/2001 • 17h37

ARCHIVES 1.09 - Le Web réinvente le nouveau roman

Depuis le temps qu’on entend parler de littérature interactive, voilà enfin quelque chose qui y ressemble. Le Web Soap, c’est douze auteurs et autant de personnages pour une seule et même histoire à suivre sur des sites persos fictifs. Une œuvre évolutive qui offre un avant-goût de la narration du XXIe siècle.
Dynamiter les conventions narratives, bouleverser la façon de raconter des histoires, Olivier Lefèvre ne parle que de ça. « À la fin du XIXe siècle, pas mal de gens pensaient que le cinéma était un outil formidable pour filmer du music-hall en plan fixe. Aujourd’hui, c’est la même chose : on est loin d’avoir exploré toutes les possibilités qu’offre le Réseau », explique ce Belge de 35 ans, créateur du projet Web Soap.
Lancé sur le Net le 22 septembre, le Web Soap est une fiction écrite par douze auteurs qui, chacun, ont inventé leur propre personnage. Au fur et à mesure qu’avance l’histoire, ils disposeront tous d’un site web construit comme une page perso : textes, photos ou vidéos raconteront les expériences et les goûts des principaux protagonistes et donneront accès à l’intégralité de leur courrier électronique, fictif bien sûr. C’est essentiellement au fil de cet échange épistolaire que se déroule la saga. Tous les mails transitent par l’ordinateur d’Olivier Lefèvre avant d’être mis en ligne, même si le lecteur a l’impression de suivre tous les développements de la narration en temps réel.
L’histoire s’ouvre sur la disparition de Mona, l’héroïne du Web Soap. Luc, son amant, se lance à sa recherche. À sa suite, tous les autres personnages entrent dans la danse. « En zappant d’un site à l’autre, on passe d’une histoire à une autre. Du coup, il n’y a pas une intrigue à découvrir. Il y en a douze, au moins ! », s’enthousiasme Mahane d’Hellencourt, 23 ans, la cadette de la bande d’auteurs. Elle ajoute : « On peut très bien ouvrir l’un des sites persos sans savoir qu’il s’agit d’une fiction et débarquer dans le Web Soap par hasard. » L’illusion du réel est totale. Patrick Durin, ancien rédacteur en chef d’un magazine de jeux de rôles, incarne Luc, l’ami de Mona. « Mettons que Luc se rende dans tel bar parisien. Je peux demander à des amis qui fréquentent cet endroit
de dire qu’ils l’ont vu passer à telle ou telle heure. » Ce punk encore pratiquant ajoute : « Je peux même inventer à Luc des goûts pour des artistes qui n’existent pas, et dont je mettrai les œuvres chimériques en ligne. C’est sans limites ! » Cette richesse épate Olivier Lefèvre : « Le Net permet d’ouvrir tellement de chemins narratifs qu’il faut tailler à la hache pour garder sa cohérence au récit. » L’angoisse de la page blanche à rebours, en quelque sorte...
Pour les auteurs, la narration tient autant de l’improvisation que du jeu de rôles. Elle autorise beaucoup moins de distance que l’écriture traditionnelle. À chaque fois qu’elle écrit un mail, Mahane, romancière débutante, se surprend à « incarner réellement [son] personnage ». Cette démarche un peu schizophrénique n’est pas toujours qu’une posture. Naomi Lipson-Korenfeld, la créatrice de Mona, admet la connaître « un peu plus qu’intimement... » Malgré cette profonde impplication, les auteurs ne maîtrisent qu’une toute petite partie du scénario. Ils naviguent à vue au milieu de péripéties révélées au compte-gouttes par Olivier, qui est le seul à avoir une vision globale de l’intrigue. Très innovant, le Web Soap tient encore de l’expérience : pour le nouveau venu sur thewebsoap.net, comprendre l’histoire et la suivre reste assez ardu, même si des résumés sont proposés de semaine en semaine. D’ailleurs, le récit aura-t-il seulement une fin ? Les auteurs n’en savent rien. Pourtant, chacun d’eux a prévu un but ultime pour son personnage. Manipulateur dans l’âme, Olivier jubile : « Mon rôle consiste à les faire dériver de ce but, à les titiller pour qu’ils s’approprient totalement le destin de leur création. » Engagés par contrats et payés en droits d’auteur, les écrivains n’ont été embauchés que pour le premier épisode, qui doit s’achever le 22 décembre. Après, glisse Olivier, « on verra bien ». Samarkande, la société qui a lancé le projet, compte le rendre pérenne grâce à la publicité : non pas des bannières, mais des royalties découlant des citations de produits utilisés dans l’histoire. Un peu comme dans les derniers James Bond. À nouvelle forme d’écriture, nouvelle façon de rémunérer les auteurs ?
www.thewebsoap.net
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