Le MP3 de la vidéo a été inventé par un Français. Il s’appelle Jérôme Rota. Il a 27 ans et a offert aux internautes le DivX ;-). Celui qui s’autoproclame déjà « Digital video gourou » part en Californie, le mois prochain, pour monter sa boîte.
Le MP3 de la vidéo, c’est lui. Jérôme Rota a développé et offert aux internautes le DivX ;-) : le format de compression vidéo le plus utilisé sur le Web. Mais ce Montpelliérain de 27 ans l’affirme d’emblée : « Je ne suis ni un programmeur, ni un hacker spécialisé dans le désassemblage. J’ai juste quelques bonnes idées. » Jérôme Rota ne veut pas passer pour un bandit. Qu’on se le tienne pour dit : le Divx ;-) qu’il a développé est le fruit d’un travail collectif. Le jeune Français s’est borné à nommer ce format, à lancer un appel à contributions pour son projet open source, bref, à en gérer la « distribution » selon les règles du logiciel libre. Aujourd’hui, le DivX ;-) est un must sur le Net. Pas étonnant : il permet de stocker sur un seul CD un film de 2 heures, qui en nécessiterait trois au format MPEG 1.
Cette après-midi-là, sur la Grand-Place de Montpellier, Jérôme Rota, alias Gej, n’a effectivement pas une tête de pirate. Assis à la terrasse d’un café, il déjeune tranquillement. Une brise d’autan soulève sa chevelure déliée, qu’il doit caler derrière son oreille afin de ne pas manger trop de cheveux. Juste au-dessus, à l’étage d’un immeuble en pierre de taille, ses ex-collègues de bureau (une petite boîte de vidéo dans laquelle il travaillait) s’amusent encore du défilé de journalistes américains et européens, venus interviewer celui qui n’était encore qu’un salarié sans histoire. D’accord, avec son look d’échalas en tee-shirt jaune citron, le garçon n’est pas banal. Mais il n’a rien d’un intrigant, d’un killer ou d’une forte tête. La discussion suit
mollement son cours, on en oublie presque que le
DivX ;-) est arrivé près de chez vous.
Gej va pourtant monter une entreprise, même s’il donne l’impression de ne rien comprendre à l’« e-bizness ». Inutile de lui poser des questions sur le modèle économique de sa boîte, une start-up basée à San Diego (Californie). Ses trois associés, en bons patrons yankees, maintiennent une chape de plomb sur les projets de l’entreprise : pas de chiffres, pas de nom pour le produit en développement, ni pour la société. Pour l’instant, c’est un fantôme de société qui porte le nom d’un condiment bien français, projectmayo.com. La french touch est censée faire prendre la sauce médiatique...
« Nous sommes en période de test », argue :bez, le « chargé de com’ » à la bouche cousue, qui lui aussi porte un pseudo. Nous saurons seulement que DivX Networks - chut ! C’est le nom de la start-up, gentiment soufflé par Gej - a déjà levé 5 millions de dollars cet été auprès de capital-risqueurs américains, et que les investisseurs devaient doubler la mise à l’automne. Une vingtaine de personnes triment déjà sur le nouveau format de compression vidéo qui va remplacer le DivX ;-). Il sera commercialisé d’ici la fin de l’année, a priori. Quant au futur PDG, il n’attend plus que son visa pour s’envoler vers la côte ouest des ...tats-Unis. Sa carte de visite le proclame déjà « Digital video gourou ».
Deux emprunts technologiques
Pour le Montpelliérain, c’est le grand saut. Qui aurait cru que le « fada » (traduction de l’occitan Gej) deviendrait une webstar ? Né de père électricien, de mère infirmière, élevé avec l’accent chantant du Sud, le minot a commencé à bricoler au sein d’un club informatique de village à l’âge de huit ans. « Le père d’un ami est revenu des ...tats-Unis avec un TI 99 [une calculatrice scientifique], à brancher directement sur un onduleur. On a formé un club pour acheter les nouvelles machines : MO5, Atari ST, Amiga, puis des PC. » Plus tard, Jérôme Rota part étudier l’électronique à l’IUT - il se spécialisera dans la 3 D -, et le cinéma à la fac de lettres.
Jérôme Rota gagne sa vie comme intermittent du spectacle. Il réalise des clips publicitaires, des vidéos d’entreprise. L’été 1999, en concevant un cédérom culturel, il découvre le nouveau format de compression de Microsoft, dans sa version bêta. Advanced Streaming Format (ASF) est développé à partir d’un nouveau codec, le « MPEG 4 version 3 ». Le codec regroupe les éléments qui permettent de faire passer des images et du son d’un support analogique à un support numérique. Le MPEG 4 V3 est bien plus performant que la norme précédente, le MPEG 1.
« Je m’en suis naturellement servi pour mon cédérom, se souvient Gej. Malheureusement, quand Microsoft a sorti la version finale d’ASF, à l’automne, le codec n’était plus utilisable. Pire, ce que j’avais précédemment encodé n’était plus lisible. » Qu’à cela ne tienne. Jérôme Rota, qui ne voulait sous aucun prétexte perdre tout son travail, se livre à une manipulation infime : il change le « nom interne » du codec, c’est-à-dire la façon dont il se présente au système d’exploitation. Et s’approprie ainsi l’ASF bêta, rebaptisé DivX ;-).
« Siliwood Valley »
Attention à ne pas oublier le smiley ! Le simili-hacker se fait sérieux : « J’ai repris le nom d’un système américain concurrent du DVD, lancé par la société Circuit City. On achetait un lecteur, puis des supports Divx à 3 dollars pièce. Tout était complètement fliqué. À tel point que pour visionner deux fois la même vidéo, il fallait se connecter à un serveur Internet et donner un maximum d’informations personnelles. En plus, le système était hyper sécurisé. Alors, quand j’ai appris qu’ils avaient fait faillite, ça m’a fait marrer. Eux, ils flippaient à mort à cause du piratage et moi, je lançais un système totalement ouvert... J’ai repris leur appellation, mais avec un clin d’œil ! »
Au Net reconnaissant, Gej rend le format qu’il a pêché à son milieu d’origine : à l’automne, il publie le DivX ;-) sur un canal IRC. Ce réseau de discussion en temps réel réunit des internautes intéressés par le piratage des DVD, donc par le très célèbre DeCSS. Ce logiciel, désormais interdit aux ...tats-Unis, sert aux pirates pour casser les codes de cryptage des lecteurs de DVD. Milieu subversif... et donc extrêmement réactif. Voyant que les mails affluent, Gej monte un site web où il explique son format. Pendant quatre mois, il reçoit 10 000 visites par jour, du monde entier. Entre mai et septembre 2000, 3,8 millions de visiteurs uniques ont consulté son site.
Quand l’audience est là, les capitalistes ne sont pas loin. Deux entrepreneurs-investisseurs de San Diego ont eu vent de l’affaire. Ils contactent Gej (prononcer « Gedj », en américain) et lui envoient un billet d’avion pour la Californie. L’un d’entre eux, Jordan Greenhall, était de l’équipe de MP3.com, le fameux portail de musique à télécharger, aujourd’hui en procès aux ...tats-Unis. Tous sont convaincus qu’il y a de l’argent à faire en mariant la technologie et le divertissement, la Silicon Valley à Hollywood. Mais à condition de ne pas déplaire à l’establishment, répète Gej : « Nous allons nouer des partenariats avec l’industrie du cinéma pour diffuser des contenus, notamment à la télé avec des boîtiers Internet. L’objectif est d’intégrer les majors au projet plutôt que de les laisser se crisper comme pour le MP3. Parce que les procès de Napster et de Scour ne sont pas gagnés... » D’ailleurs, souligne le Français, Hollywood est déjà sur le qui-vive. Plusieurs majors ont commencé à se rapprocher des start-ups Internet, quand leurs transfuges n’ont pas fondé leur dotcom dans le domaine du cinéma.
Project Mayo s’est attelée au développement d’un nouveau format de compression fondé sur le codec MPEG 4. Les entrepreneurs ne veulent pas être mis sur la paille par un procès pour contrefaçon intenté par Microsoft. Ils refondent donc le logiciel, en l’améliorant au passage. De même, ils craignent des poursuites judiciaires s’ils commercialisent l’appellation DivX. C’est pourquoi la facétie de programmeur pourrait bien céder la place à une vraie marque. Gej est confiant dans le succès du nouveau format : « On a déjà trouvé trois millions d’utilisateurs sans un gramme de pub. Il y a bien une demande ! » Le gourou frenchy est parti à la conquête des ...tats-Unis.