Née à Paris il y a quelques mois, la Licence Art Libre permet de s’affranchir, en toute légalité, des contraintes du copyright. Avis aux amateurs de remix...
Prenez un chœur de negro spirituals. Imaginez son chef, Louis Achille, d’ascendance antillaise. Prof de lycée lyonnais corpulent et bonhomme, il ne se voyait franchement pas faire de l’argent sur les chants des esclaves : il se souvenait que son propre grand-père avait été enchaîné. Las, son successeur à la tête du chœur, Etienne André, rêvait de sortir un disque. Quelle solution pour éviter que le mécanisme des droits d’auteur ne contredise la parole de son maître ? Réponse dénichée au détour d’une newsletter consacrée à Linux : la Licence Art Libre. Désormais, les CD de la chorale Park New Choir peuvent être copiés sans échange d’argent et sans risque de poursuites. Mieux : les chants peuvent même être réutilisés et modifiés. D’ailleurs, le chef de chœur attend avec intérêt les eventuels candidats au remix.
La Licence Art Libre est née, il y a quelques mois, à Paris, lors d’une rencontre entre des artistes contemporains et les hérauts français de l’informatique libre. Ce face-à-face baptisé « Copyleft Attitude » annonçait la couleur : comment adapter l’anti-copyright, célébré par les logiciels libres, à des créations qui, précisément, ne sont pas des logiciels ?
Partie d’une réunion aux airs faussement anars, tenue dans un sous-sol du Xe arrondissement, l’initiative ne semblait pas gagnée d’avance. Pas évident de concilier la posture artistique, le manifeste politique et la sécheresse d’un cadre juridique. Le collectif Copyleft Attitude est pourtant parvenu à construire son projet grâce à sa liste de diffusion. À l’arrivée, le texte ressemble à une licence de logiciels. Il permet à l’auteur d’une œuvre d’autoriser les copies et les modifications. Celui qui profite de cette liberté ne peut pas percevoir de droits d’auteur pour les copies ou les modifications. Et celles-ci deviennent reproductibles à leur tour... Ainsi se crée une chaîne d’œuvres libres, que le système commercial ne peut s’approprier.
Selon Copyleft Attitude, cette licence est tout le contraire d’un abandon du droit d’auteur. Pour le collectif, le droit de l’auteur, c’est justement de pouvoir faire accéder le public librement à son travail. Antoine Moreau, coordinateur de la liste, justifie le rapprochement avec l’informatique : « Le hacker a une démarche proche de l’artiste : il se préoccupe de la création avant de s’intéresser à la rentabilité financière de son œuvre. » Les artistes concernés par le Copyleft sont, en effet, très peu nombreux à vouloir (et pouvoir ?) vendre leur travail. « L’intention est d’autoriser l’utilisation d’une œuvre par le plus grand nombre. En avoir la jouissance pour multiplier les réjouissances », précise la licence. Jolie formule pour contrecarrer les crispations actuelles sur la propriété intellectuelle.
En voie d’être repris par différents collectifs du Net Art, ce projet n’est pas isolé : une licence à peu près identique a déjà vu le jour aux ...tats-Unis. Même si elle revêt une dimension politique évidente, la Licence Art Libre ne l’évoque que succinctement dans son préambule : « Sa raison essentielle est de promouvoir et protéger des pratiques artistiques libérées des seules règles de l’économie de marché. »
Pour ...tienne André, qui vient de céder la direction du chœur de negro spirituals, c’est peut-être déjà trop : « Même si l’adhésion au principe est implicite, on risque de braquer les gens qui ne sont pas forcément à gauche. ...tait-ce indispensable de le dire ? » Après quelques flottements, il a quand même réussi à convaincre sa chorale : Park New Choir a sorti son CD !